Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH) — Exploitation des mineurs dans le contexte de la traite des êtres humains en Suisse
CONDENSÉ
La traite des êtres humains mineurs, autrement dit la traite des enfants, comprend plusieurs formes d’exploitation. En Suisse, il existe des cas de mineurs touchés par l’exploitation de la force de travail, l’exploitation à des fins sexuelles ou l’exploitation à des fins d’activités délictueuses. Il n’est pas rare que ces formes d’exploitation se recoupent et engendrent une exploitation multiple. On connaît peu de cas concrets en Suisse qui répondent aux critères exigeants de l’élément constitutif d’infraction “traite des enfants”, mais l’ampleur de l’exploitation des mineurs au sens large est en revanche jugée nettement plus élevée.
Traite des enfants et exploitation des mineurs en Suisse
La présente étude adhère à la définition de la traite des enfants qui prévaut dans le droit interna- tional public et à laquelle se réfère l’article du code pénal suisse. Au sens du droit international public, la traite des enfants désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de mineurs aux fins d’exploitation.
L’étude a pour objet l’exploitation de mineurs en Suisse. Les auteures ne se focalisent pas unique- ment sur la traite des enfants au sens strictement juridique, mais examinent l’exploitation sous un angle plus large. Sont donc aussi pris en compte des phénomènes qui ne peuvent pas être subsu- més de manière évidente sous l’infraction de traite des enfants et flottent dans une zone grise juridique.
L’ampleur de l’exploitation des mineurs est difficile à chiffrer
La présente étude vise à chiffrer approximativement l’exploitation des mineurs à la lumière de di- verses sources. L’ampleur de ce phénomène est toutefois difficile à déterminer avec exactitude dans le contexte de la traite des êtres humains. Cette incertitude est due à diverses raisons. D’abord, peu d’institutions tiennent des statistiques, si bien que beaucoup d’indications quantita- tives sont basées sur des estimations. Ensuite, les interprétations divergent sur ce qui constitue un “cas” de traite des enfants ou d’exploitation des mineurs. De ce fait, le nombre des cas relevés statistiquement et les estimations ne sont que difficilement comparables. Enfin, l’exploitation des mineurs est considérée comme un phénomène de l’ombre et les chiffres sont probablement sous- estimés. Le nombre de cas non détectés reste incertain et les estimations des experts diffèrent. Ainsi, les indications sur les différentes formes d’exploitation varient en fonction des domaines vi- sés par l’étude, ainsi qu’en leur sein même. Par conséquent, une estimation uniquement quantita- tive du phénomène ne peut être qu’approximative.
Divers secteurs à risques donnent lieu à des conditions de travail abusives
On ne connaît que peu de cas de mineurs correspondant à la définition juridique de la traite des êtres humains aux fins d’exploitation du travail. L’étude montre toutefois que de nombreux mineurs en Suisse se trouvent dans des situations difficiles et parfois abusives. Beaucoup de ces cas n’at- teignent toutefois pas le seuil du droit pénal, par manque de preuves ou parfois en raison d’un vide juridique ou d’une zone grise. Une partie de la profession exige par conséquent l’introduction d’un nouvel élément constitutif d’infraction “exploitation du travail”, qui soit distinct de l’infraction de traite d’êtres humains.
Des cas concrets d’exploitation sont connus dans les ménages privés, la restauration, les salons de coiffure à bas prix, les bars à ongles et, dans une moindre mesure, dans le secteur des soins institutionnels et celui de la construction. Au sein même de ces secteurs, il existe des domaines à risques qui touchent avant tout ou exclusivement les mineurs, comme les stages, le travail au pair ou l’hébergement dans des familles d’accueil. Les ménages privés, les exploitations agricoles et les entreprises familiales sont exclus de la loi suisse sur le travail, ce qui signifie qu’il n’y a pas vraiment de critères légaux clairement définis qui permettraient d’évaluer l’emploi de mineurs dans lesdits domaines: ils sont par conséquent considérés comme particulièrement à risques en matière d’exploitation du travail de mineurs.
Difficulté de cerner l’exploitation à des fins de travail irrégulier ou d’activités délictueuses
Des mineurs sont parfois utilisés stratégiquement pour mendier et pour des activités illégales comme les vols, les cambriolages ou le trafic de drogues. Le code pénal des mineurs prévoyant des sanctions plus légères que celles s’appliquant aux adultes, les mineurs sont particulièrement exposés à l’exploitation dans ce domaine. Dans le questionnaire en ligne, les corps de police ont estimé que l’exploitation était plus fréquente dans la mendicité, les cambriolages et les vols que dans d’autres formes d’exploitation, même si les chiffres des cas connus ne s’avèrent pas forcé- ment plus élevés.
Une difficulté particulière dans ce domaine consiste à identifier les victimes. La situation de départ est complexe, et les victimes présumées sont souvent perçues uniquement comme des délin- quants. Lors de l’identification et de la poursuite de cas potentiels de traite des enfants, il est es- sentiel de porter un regard qui soit à la fois informé et nuancé autant sur les victimes (présumées) que sur les auteurs (présumés) dans le domaine des activités irrégulières. Afin d’éviter la crimina- lisation de la pauvreté, il importe aussi de toujours prendre en compte les inégalités structurelles et les conditions économiques.
Importance du rôle d’Internet dans le domaine de l’exploitation sexuelle
C’est dans le domaine de l’exploitation sexuelle que l’étude recense le plus grand nombre de cas concrets, par exemple dans la prostitution, la pornographie ou en rapport avec des délits sexuels sur Internet. La sensibilisation dans ce domaine est jugée relativement bonne. Cependant, les cas révélés montrent que dans le domaine de l’exploitation sexuelle des mineurs, tout comme dans d’autres formes d’exploitation, il est difficile de déceler les cas de traite d’êtres humains. En outre, il n’est pas toujours possible de tracer une ligne claire entre les cas de traite à des fins d’exploitation sexuelle et d’autres phénomènes ou éléments constitutifs d’infraction, comme la prostitution impli- quant des enfants, la pornographie mettant en scène des enfants, les actes d’ordre sexuel avec des enfants ou la contrainte sexuelle.
Internet joue un rôle central dans le domaine de l’exploitation sexuelle. D’une part, avec les réseaux sociaux et les plate-formes en ligne, de nouvelles possibilités sont apparues pour offrir des services sexuels et louer des locaux. D’autre part, les criminels utilisent Internet de manière ciblée pour prendre contact avec des mineurs et les exploiter sexuellement.
Diverses méthodes de recrutement et de conditionnement
Bien qu’un moyen d’infraction tel que la menace, la tromperie ou la contrainte ne soit pas un élé- ment constitutif de l’infraction de traite des enfants, ces méthodes de recrutement et de condition- nement sont souvent utilisées dans les faits aussi avec les mineurs. Les méthodes les plus cou- rantes pour attirer les mineurs sont les mêmes que pour les adultes: la tromperie ou les fausses promesses, le conditionnement par la menace, le chantage et/ou la violence ainsi que le recrute- ment dans le cadre de relations de couple. Dans cette dernière catégorie, on notera le recours fréquent aux fausses déclarations d’amour, qui font plonger de jeunes personnes dans des situa- tions d’exploitation. Le mariage forcé d’un mineur à des fins d’exploitation au sens de l’infraction de traite des enfants est en revanche considéré comme un phénomène plutôt marginal.
Cumul fréquent des formes d’exploitation
Il n’est pas possible de faire de liste exhaustive avec description détaillée de tous les schémas récurrents de traite d’enfants ou d’exploitation de mineurs en Suisse. Les formes d’exploitation et les voies par lesquelles les mineurs sont entraînés dans des situations abusives sont innom- brables. Souvent, les formes d’exploitation précitées se cumulent (exploitation multiple), de même que les méthodes de recrutement et de conditionnement. En général, les mineurs vulnérables sont considérés comme particulièrement exposés, par exemple ceux dans des conditions économiques précaires, au statut de séjour incertain ou ceux en passe d’atteindre leur majorité.
Nécessité d’intensifier la communication et la coopération interdisciplinaires
En matière de traite des enfants ou d’exploitation des mineurs, il existe une pléthore d’autorités et de services compétents, par exemple dans les domaines de la poursuite pénale ou de la protection des victimes et des enfants. Or, ces différents services et domaines n’ont pas toujours la même conception de ce qu’est la traite des enfants, ou de ce qui définit telle ou telle forme d’exploitation, et ne savent pas toujours où situer la frontière entre des situations globalement préjudiciables au bien supérieur de l’enfant et l’exploitation au sens juridique plus étroit.
“Traite des enfants” semble en premier lieu servir de terme de travail pour la police, les autorités de poursuite pénale, les autorités de migration et d’asile ainsi que les services de protection des victimes spécialisés dans la traite d’êtres humains. De leur côté, les spécialistes de la protection de l’enfance ont souvent plus de mal à s’identifier à ce terme. Par conséquent, il serait nécessaire d’accroître l’échange interdisciplinaire sur la question de l’exploitation des mineurs et d’intensifier la coopération dans le traitement des cas (présumés) pour pouvoir agir plus efficacement contre l’exploitation des mineurs.