CNDCH — Publication de l’évaluation du 2e plan d’action national contre la traite des êtres humains
La CNCDH constate l’ineffectivité partielle du second plan national d’action qui reprenait déjà les mesures du premier plan national d’action. L’absence de portage politique et de moyens humains dédiés à la MIPROF ne permet aucunement une action politique à la hauteur d’enjeux tant nationaux qu’internationaux. Les discours peinent à se transcrire en acte malgré un arsenal législatif conséquent et adapté. L’incapacité des pouvoirs publics à mettre en place un véritable mécanisme national d’identification et d’orientation est préoccupante : cela traduit une défaillance majeure en matière de respect des conventions internationales ratifiées par la France et de défense des droits humains notamment en matière d’information et de protection des victimes. Il est urgent de se saisir pleinement du sujet. Transformation de la Miprof en délégation interministérielle, multiplication des effectifs et des budgets dédiés notamment en matière d’accompagnement des associations, élaboration concertée d’un mécanisme national, renforcement de la formation et de la prévention sont ainsi prioritairement recommandés dans cet avis.
POINTS CLÉS DU RAPPORT (P6)
1. Un deuxième plan national d’action contre la traite des êtres humains (2019–2021) a été mis en œuvre sous la coordination de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof)1. Ce deuxième plan faisait suite, après trois années sans nouvelle planification, au premier plan national d’action (2014–2016) évalué par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)2. La Commission avait alors conclu à la faible consistance de ce premier plan notamment en matière d’identification, de protection et d’accompagnement des victimes mais également de poursuite des auteurs de traite des êtres humains. De fait, nombre de mesures prévues dans le premier plan furent reportées dans le deuxième plan national d’action.
2. Le deuxième plan national d’action (2019–2021) fait l’objet de la présente évaluation par la CNCDH en sa qualité de rapporteur national indépendant sur la lutte contre la traite des êtres humains3. Force est de constater que les principales faiblesses du premier plan subsistent dans le deuxième dont l’orientation demeure focalisée sur la lutte contre la traite à des fins d’exploitation sexuelle malgré un léger élargissement du champ d’action. La CNCDH réaffirme donc sa recommandation d’élargir encore le champ d’intervention à toutes les formes de traite et d’exploitation des êtres humains, à l’égard des garçons et des hommes également, et dans d’autres zones que Paris ou l’Ile-de- France. La CNCDH accueille avec enthousiasme l’octroi à la France du statut de pays pionnier dans la lutte contre la traite, essentiellement par le travail, dans le cadre de l’alliance 8.74. Par ailleurs, la France doit respecter les engagements résultant de la convention des Nations Unies contre la criminalité organisée (Protocole dit de Palerme, 2000) et par la Convention internationale des droits de l’enfant (ONU, 1989) et ses protocoles additionnels, par les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) n°29 sur le travail forcé (1930) et son protocole additionnel (2014) et n°105 sur l’abolition du travail forcé (1957), par la Convention de Varsovie du Conseil de l’Europe (2005) ainsi que par la Directive 2011/36/UE de l’Union européenne (UE).5
3. Cependant, la CNCDH recommande vivement la transformation de la Miprof en une délégation interministérielle spécifiquement dédiée à toutes les formes de traite et d’esclavage moderne placée sous l’autorité de la Première ministre. Il s’agirait d’éviter tout risque de cloisonnement entre d’une part la lutte contre la traite à des fins d’exploitation sexuelle et contre les violences faites aux femmes coordonnée par la Miprof, et d’autre part, celle contre la traite à des
fins d’exploitation par le travail par la représentation permanente française à l’OIT.
4. La CNCDH constate également qu’à l’issue du deuxième plan national d’action, il n’existe toujours pas de mécanisme national d’identification et d’orientation des victimes (MNIO). L’annonce d’une circulaire en lieu et place d’un MNIO n’est ni à la hauteur des recommandations des instances internationales (ONU, OSCE, Conseil de l’Europe, Union européenne), ni en adéquation avec les besoins réels des acteurs de terrain (agents de l’État, associations spécialisées). Un mécanisme requiert une ligne budgétaire spécifique, conséquente et permanente, un portage politique fort6, une équipe coordinatrice7 dédiée à l’échelon national avec des vrais relais spécialisés dans la traite aux niveaux régional et local8, et une véritable politique de formation initiale et continue.
5. La traite des êtres humains constitue une atteinte majeure aux droits fondamentaux et au respect de la dignité humaine, elle cible en particulier les personnes les plus vulnérables (personnes migrantes, personnes en situation de précarité sociale, personnes en situation de handicap, mineurs isolés). L’ineffectivité d’une partie des mesures du deuxième plan, l’absence de publication d’un troisième plan, l’absence de nomination d’un ou d’une secrétaire général(e) dans la continuité d’une cessation de fonction et le retard conséquent pris dans la mise en place d’un véritable mécanisme national d’identification et d’orientation des victimes permettent de mettre en doute la prise de conscience avancée par les pouvoirs publics dans les discours officiels devant les instances internationales.
6. Huit ans après le début du premier plan, la CNCDH se doit de rappeler certains éléments qui lui semblent fondamentaux :
• un rattachement de la coordination nationale s’impose auprès du Premier ministre ;
• un véritable mécanisme national d’identification et d’orientation des victimes est indispensable et prioritaire ;
• une protection adaptée doit être fournie aux victimes de traite des êtres humains pour faciliter la collaboration et permettre la reconstruction physique et psychique ;
• une régularisation administrative du séjour avec autorisation de travail doit être déconnectée de la participation des victimes à la procédure ;
• l’ouverture conséquente de places d’hébergement pour permettre une mise à l’abri d’urgence, l’éloignement des réseaux d’exploitation, et des abris pérennes le temps de la procédure judiciaire sont urgents ;
• lamiseàdispositionderessourceshumainespermettantdefournir un accompagnement médico-psychologique aux victimes doit être un élément du mécanisme national d’identification et d’orientation des victimes.
7. La présente évaluation du deuxième plan national d’action, qui se veut la plus synthétique possible, n’entre donc pas nécessairement dans le détail de la mise en œuvre des mesures. Elle évalue toutefois, mesure par mesure9, l’effectivité de leur mise en œuvre et propose, le cas échéant, des recommandations en vue de l’élaboration du troisième plan national d’action contre la traite des êtres humains. Il est spécifié pour chaque mesure si la Commission considère que l’objectif a été réalisé, partiellement réalisé, ou non réalisé. Certaines mesures se recoupant, notamment celles relevant de la communication (sensibilisation, campagne d’information, site internet…), il n’a pas été jugé opportun de les présenter séparément au risque de répéter inutilement des constats similaires. Par ailleurs, certaines mesures du deuxième plan étaient déjà présentes dans le premier plan tandis que d’autres intègrent également d’autres plans nationaux traitant, par exemple, du travail dissimulé, du logement, des violences faites aux enfants ou des vulnérabilités des personnes migrantes. Les mesures du deuxième plan national d’action sont donc rarement inédites, novatrices et spécifiques à la traite des êtres humains.
8. Enfin, si les associations spécialisées ont été conviées à des groupes de travail en vue de l’élaboration d’un mécanisme national d’identification et d’orientation des victimes, ou pour dresser le bilan du deuxième plan national d’action, elles n’ont pas été conviées à l’élaboration du troisième plan national d’action qui n’est que le fruit d’une concertation interministérielle. La date de parution de ce plan demeure inconnue : la CNCDH recommande que les associations spécialisées et la CNCDH soient consultées avant toute adoption définitive.