Préoc­cupé par le manque d’actions de l’OIF en matière de prévention de la traite des êtres humains, le con­stat d’une dif­fi­culté particulièrement élevée à soulever, au plan poli­tique et dans les par­lements nationaux, le thème de la traite des êtres humains est à l’origine de ce rap­port. En l’absence de chiffres offi­ciels por­tant sur le nom­bre de vic­times – celles-ci étant par­ties intégrantes des pop­u­la­tions dites « cachées » – les par­lemen­taires sont sou­vent enclins à fer­mer les yeux sur la triste réalité qu’est la traite des êtres humains. Le fait que la traitereprésenterait, dans nos sociétés, un phénomène mar­gin­al est encore trop sou­vent évoqué. Par ailleurs, nous con­sta­tons que le phénomène de la traite est sou­vent mal com­pris ou con­fon­du avec d’autres réalités que sont le traf­ic de per­son­nes migrantes ou les atteintes au droit du tra­vail, à l’instar du tra­vail au noir ou de la sous-enchère salariale.

Or, le fléau de la traite n’est en rien min­ime dans nos sociétés : il s’étend à l’ensemble de l’espace fran­coph­o­ne, il porte atteinte aux femmes, aux enfants et aux hommes et il s’exerce dans de mul­ti­ples activités. S’il n’est pas pos­si­ble d’articuler de chiffres de manière fiable, c’est en rai­son de la bru­tal­ité des sit­u­a­tions d’exploitation dans lesquelles les vic­times sont pris­es au piège et de l’inhumanité des traite­ments qui leur sont infligés. Les premières par­ties de ce rap­port ont démontré les obsta­cles à l’évaluation de la face cachée de la traite. Ceux-ci s’expliquent par le silence ter­rorisé de vic­times, sou­vent clan­des­tines ; les difficultés à démontrer, dans le cadre des enquêtes pénales, un crime qui ne laisse pas de trace vis­i­ble ain­si ; la lour­deur du dis­posi­tif à met­tre en place pour enquêter sur un délit que l’on qual­i­fie « de contrôle » ; et, enfin, par les immenses défis méthodologiques et sta­tis­tiques qui entra­vent encore la création de base de données complètes et com­pa­ra­bles por­tant sur les victimes.

Pour­tant, ces vic­times exis­tent en nom­bre et l’on peut par­tir de l’hypothèse raisonnable que le peu d’entre elles qui ont pu être détectées ne for­ment que la pointe émergée de l’iceberg. Les organ­ismes inter­na­tionaux, forts du ren­force­ment des mécanismes de détection nationaux pro­gres­sive­ment – mais pas encore suff­isam­ment — mis en place, de l’affinage de leurs travaux sta­tis­tiques, de la com­para­i­son de leurs bases de données et, surtout, de leur forte volonté com­mune de lut­ter con­tre le crime de la traite, com­men­cent enfin à artic­uler des chiffres : dans le monde, plus de 40 mil­lions de per­son­nes seraient vic­times de l’esclavage mod­erne, dont 10 mil­lions d’enfants.

Il appar­tient main­tenant aux gou­verne­ments et par­lements nationaux d’ouvrir les yeux sur une réalité qui se déploie sur leurs pro­pres ter­ri­toires. La lutte con­tre la traite ne per­met certes pas d’engranger de grands succès électoraux, car le crime ne trau­ma­tise « que » les vic­times elles- mêmes, sans que d’autres citoyens n’aient à en pâtir. Il est par ailleurs poli­tique­ment dif­fi­cile de pro­mou­voir, face à l’opinion publique, la mise en place de moyens répressifs qui coûtent cher — même si le traf­ic rap­porte gros aux réseaux du crime organ­isé qui n’ont de cesse de l’alimenter. Toute­fois, c’est à la capacité de protéger les per­son­nes les plus vulnérables et de veiller à ce que les droits fon­da­men­taux de toutes et tous soient garan­tis que l’on peut mesur­er la force de nos sociétés. Seules la volonté et la respon­s­abilité poli­tiques peu­vent y parvenir.

Les moyens de prévention et de lutte con­tre la traite exis­tent et sont à la dis­po­si­tion des décideurs poli­tique. Les acteurs de la société civile, engagés sur le ter­rain et confrontés aux réalités sor­dides de la traite, aler­tent depuis longtemps les pou­voirs publics, tout en déployant, avec leurs moyens, des mesures de pro­tec­tion des vic­times. Depuis main­tenant plus d’une décennie, les Nations Unies ont par ailleurs développé des instru­ments con­crets et effi­caces pour prévenir et lut­ter con­tre ce fléau. Ceux-ci reposent sur des mécanismes aptes à assur­er une col­lab­o­ra­tion étroite entre les autorités poli­tiques, les représentants de la société civile et les autorités de pour­suite pénales ain­si qu’à veiller à ce que cette col­lab­o­ra­tion et l’intensité de l’engagement perdurent.

Ils s’articulent autour du développement de stratégies nationales, de mesures de prévention visant à alert­er l’opinion publique et à sen­si­bilis­er les acteurs sus­cep­ti­bles d’être en con­tact avec des vic­times, de la for­ma­tion des enquêteurs et mag­is­trats aux spécificités de la traite, ou encore – et peut‑être surtout – de l’aide à apporter aux vic­times pour qu’elles puis­sent sor­tir durable­ment de leur sit­u­a­tion d’exploitation.

Tous les Etats, gou­verne­ments et par­lements de l’espace fran­coph­o­ne ne sem­blent pas être investis aux mêmes degrés dans la problématique. Pour­tant, nom­breux sont ceux qui se sont sai­sis des instru­ments proposés, en élaborant par ailleurs, selon leur con­texte local, des solu­tions aus­si inno­vantes qu’efficaces. Ces ini­tia­tives ont été décrites, sous la forme d’un riche partage d’expériences, dans le cadre de la sec­onde par­tie de ce rapport.

Ce vaste tra­vail doit se con­cevoir non seule­ment comme un cat­a­logue de bonnes pra­tiques utile à celles et ceux qui souhait­eraient s’inspirer d’exemples mis en place avec succès sur d’autres ter­ri­toires. Il doit également encour­ager les pou­voirs publics de l’espace fran­coph­o­ne – unis, qu’ils le veuil­lent ou non, autour de cette problématique à caractère transna­tion­al — à ren­forcer leurs actions nationales et leur col­lab­o­ra­tion inter­na­tionale afin de lut­ter sans réserve con­tre un crime inac­cept­able. Celui-ci ne con­stitue, au final, que le pro­longe­ment mod­erne de l’esclavage, pour­tant décrié partout et par tous à la chute des anci­ennes colonies.