Journée mondiale contre la traite des personnes

30 juillet 2022

Déclaration de Michel Veuthey

 

L’Or­dre Sou­verain de Malte a nom­mé en 2017 deux Ambas­sadeurs chargés de lut­ter con­tre la traite des per­son­nes. Basé à Genève, Michel Veuthey (Ambas­sadeur chargé de sur­veiller et com­bat­tre la traite des per­son­nes) et basé en Afrique, Romain Champierre de Vil­leneuve (Ambas­sadeur itinérant pour l’Afrique), ils ren­for­cent l’en­gage­ment de l’Or­dre de Malte dans la préven­tion de la traite des êtres humains et la pro­tec­tion des vic­times, avec des pro­jets tant au niveau local que diplomatique.

A chaque ses­sion du Con­seil des droits de l’homme à Genève, mais aus­si à Vienne et à New York, l’Or­dre de Malte fait des inter­ven­tions sur les dif­férentes formes de traite des êtres humains ou d’esclavage con­tem­po­rain : tra­vail for­cé, mariages et mater­nités for­cés, vente d’en­fants, pornogra­phie, prélève­ments for­cés d’or­ganes. L’Or­dre de Malte mul­ti­plie égale­ment les parte­nar­i­ats avec des uni­ver­sités en France, en Ital­ie, en Suisse et aux Etats-Unis.

Avec cet afflux mas­sif de per­son­nes venant d’Ukraine, l’Or­dre de Malte attire l’at­ten­tion sur le risque que les réfugiés soient vic­times de trafi­quants d’êtres humains. À cette fin, son Ambas­sade polon­aise a pub­lié une alerte con­tenant des règles de sécu­rité pour les réfugiés, qui est dis­tribuée le long des prin­ci­pales voies de sor­tie en ukrainien, anglais et polon­ais. Mal­teser Inter­na­tion­al coor­donne l’ef­fort mon­di­al de l’Or­dre Sou­verain de Malte, dont les Asso­ci­a­tions et les Corps de sec­ours et de volon­taires sont act­ifs sur le ter­rain pour aider les réfugiés.

 

 

L’Or­dre Sou­verain de Malte souhaite soulign­er le rôle impor­tant des chefs religieux et des con­gré­ga­tions religieuses dans la pro­tec­tion et l’as­sis­tance aux vic­times de la traite des per­son­nes, sou­vent en coopéra­tion avec d’an­ci­ennes vic­times et sur­vivants (voir liste en annexe).

En ce qui con­cerne la respon­s­abil­ité mon­di­ale, comme l’a dit le Pape François : “En plus de la respon­s­abil­ité sociale des entre­pris­es, il y a aus­si la respon­s­abil­ité sociale des con­som­ma­teurs.  Chaque per­son­ne doit avoir la con­science que l’achat est tou­jours un acte moral — et pas seule­ment économique.”

Les mesures actuelles visant à pour­suiv­re les trafi­quants et à pro­téger et héberg­er les vic­times sont notoire­ment insuff­isantes et inef­fi­caces. Des instru­ments et des mécan­ismes juridiques exis­tent au niveau nation­al, région­al et mon­di­al, mais ils ne sont pas à la hau­teur du fléau crois­sant que représente la traite moderne.

Ces mécan­ismes juridiques ne pour­suiv­ent qu’une poignée de crim­inels et offrent un nom­bre insuff­isant de refuges et de ser­vices aux vic­times. https://adlaudatosi.org/international-prosecution-of-human-trafficking-what-can-be-done/ : en effet, le nom­bre de con­damna­tions pénales liées à la traite des êtres humains est extrême­ment faible : 1 cas d’esclavage sur 2 154 donne lieu à une con­damna­tion — soit un taux de 0,047%.

En ce qui con­cerne les caus­es pro­fondes, l’Or­dre de Malte partage l’opin­ion selon laque­lle la demande de traite doit être crim­i­nal­isée, en ten­ant compte des dif­férentes formes d’ex­ploita­tion, du tra­vail for­cé ou de l’ex­ploita­tion sex­uelle. La lutte con­tre la traite des êtres humains, en par­ti­c­uli­er celle liée à la demande, doit être menée à tra­vers une approche mul­ti­dis­ci­plinaire, mul­ti­di­men­sion­nelle et coor­don­née entre les dif­férents acteurs.

Con­cer­nant l’ex­ploita­tion en ligne, la crim­i­nal­i­sa­tion des con­som­ma­teurs qui achè­tent des images ou encore le pilotage de ses­sions d’abus sur les mineurs et les femmes doivent être une pri­or­ité. Les instru­ments poli­tiques et juridiques inter­na­tionaux, régionaux et nationaux exis­tants doivent être pleine­ment mis en œuvre mais nous devons envis­ager de nou­veaux instru­ments adap­tés à l’abus des nou­velles tech­nolo­gies. Nous devons adopter une toute nou­velle façon de penser l’esclavage moderne.

Nous devons recon­cep­tu­alis­er les droits de l’homme sur le lieu de tra­vail et con­stru­ire un nou­veau mod­èle économique qui avan­tage les entre­pris­es respec­tant les droits de l’homme. Le tra­vail décent est à l’op­posé de l’esclavage mod­erne. En fait, ce que nous devons faire, c’est pro­mou­voir une cul­ture du respect des droits de l’homme sur le lieu de travail.

La demande provient d’une dom­i­na­tion sans lim­ite sur les êtres humains et la Créa­tion, sans aucun respect pour la vie et la dig­nité humaine (voir la let­tre ency­clique “Fratel­li Tut­ti” de 2020) ni pour l’é­colo­gie inté­grale (voir le chapitre 4 de la let­tre ency­clique “Lauda­to si’ ” de 2015). Le sys­tème économique actuel per­met trop sou­vent la pri­mauté des objets sur les humains et la pri­or­ité du cap­i­tal sur le tra­vail, la tech­nolo­gie comme une fin et non comme un moyen, et l’abus de la tech­nolo­gie pour créer la demande.

Il ne suf­fit pas d’of­frir aux sur­vivants de la traite des êtres humains une pro­tec­tion juridique, nous devons égale­ment leur offrir une pro­tec­tion physique, psy­chologique et religieuse. Il est impor­tant de leur don­ner un espace sûr, pour qu’elles puis­sent retrou­ver une vie nor­male, accom­pa­g­né de tous les ser­vices médi­caux et soci­aux dont elles peu­vent avoir besoin.

Les États doivent égale­ment abolir les lois exis­tantes qui pour­suiv­ent les vic­times de la traite et s’at­ta­quer plutôt aux trafiquants.

Les Gou­verne­ments doivent offrir aux vic­times un espace sûr, un accès à l’aide des autorités, et ne pas ris­quer d’être expul­sées, de recevoir des amendes ou d’être empris­on­nées à tort.

Tous les pays devraient défendre le “mod­èle nordique”, intro­duit en Suède en 1999, qui a été la pre­mière loi au monde à recon­naître la pros­ti­tu­tion comme une vio­lence con­tre les femmes et une vio­la­tion des droits de l’homme. Il crim­i­nalise l’achat de ser­vices sex­uels com­mer­ci­aux et offre aux per­son­nes exploitées une stratégie de sortie.

La demande est au cœur de tous les types de traite des êtres humains. L’ar­ti­cle 9.5 du Pro­to­cole des Nations Unies relatif à la traite des per­son­nes (Pro­to­cole de Palerme) invite les États à éla­bor­er des mesures juridiques et poli­tiques visant à met­tre fin à la demande qui con­duit à la traite des per­son­nes sous toutes ses formes.

Con­clu­ons par ces deux questions :

  • Pre­mière­ment, com­ment les valeurs religieuses de sol­i­dar­ité et de respect de la vie et de la dig­nité humaine pour­raient-elles être mieux util­isées pour met­tre fin aux formes con­tem­po­raines d’esclavage ? Com­ment les organ­i­sa­tions con­fes­sion­nelles pour­raient-elles recevoir davan­tage de sou­tien pour pro­téger et réha­biliter les victimes ?
  • Deux­ième­ment, com­ment pour­rions-nous pro­mou­voir col­lec­tive­ment des instru­ments juridiques con­traig­nants et non con­traig­nants con­trôlant et crim­i­nal­isant la demande pour toutes les formes de traf­ic d’êtres humains : tra­vail for­cé, exploita­tion sex­uelle, trans­plan­ta­tions d’or­ganes for­cées, bébés ven­dus et volés, et mater­nité de sub­sti­tu­tion for­cée, car la demande est la cause pre­mière de l’esclavage contemporain ?

Annexe :

Soulignons, entre autres, les réseaux suiv­ants d’or­gan­i­sa­tions religieuses actives en faveur des vic­times de la traite des êtres humains :

  • Le Groupe de San­ta Mar­ta, un parte­nar­i­at mon­di­al avec des représen­tants de l’Église catholique, des ser­vices de police et des organ­i­sa­tions inter­na­tionales de 30 pays.
  • La Com­mis­sion inter­na­tionale catholique pour les migra­tions (CICM) pro­tège et sert les per­son­nes dérac­inées, notam­ment les réfugiés, les deman­deurs d’asile, les per­son­nes déplacées à l’in­térieur de leur pays, les vic­times de la traite des êtres humains et les migrants — indépen­dam­ment de leur foi, de leur race, de leur appar­te­nance eth­nique ou de leur nationalité.
  • Le réseau Tal­itha Kum, le réseau inter­na­tion­al de la vie con­sacrée con­tre la traite des êtres humains, qui compte des mem­bres dans 92 pays.
  • Le COATNET (Car­i­tas), un réseau mon­di­al d’or­gan­i­sa­tions chré­ti­ennes lut­tant con­tre la traite des êtres humains et aidant les sur­vivants de l’esclavage mod­erne, qui compte 45 organ­i­sa­tions chré­ti­ennes (catholiques, angli­canes et ortho­dox­es) dans 39 pays.
  • Les Sœurs catholiques améri­caines con­tre la traite des êtres humains, un réseau nation­al col­lab­o­ratif et con­fes­sion­nel qui pro­pose des for­ma­tions, favorise l’ac­cès aux ser­vices pour les sur­vivants et s’en­gage dans des actions de sen­si­bil­i­sa­tion pour éradi­quer l’esclavage moderne.
  • Reli­gious in Europe Net­work­ing Against Traf­fick­ing and Exploita­tion (RENATE),
    un réseau de 139 organ­i­sa­tions tra­vail­lant dans 31 pays
  • Le Ser­vice Jésuite des Réfugiés (JRS), présent dans 52 pays.
  • Asso­ci­a­tion Comu­nità Papa Gio­van­ni XXIII, en Ital­ie, avec plus de 60 maisons famil­iales hors d’Italie
  • Réseau africain con­tre la traite des êtres humains (ANHAT)
  • Religieux catholique aus­tralien con­tre le traf­ic d’êtres humains (ACRATH)
  • Aus­tralian Anti-Slav­ery Net­work (ACAN), ani­mé par le groupe de tra­vail anti-esclavage de l’archid­iocèse de Syd­ney (CAS)
  • SOLWODI (Sol­i­dar­i­ty with Women in Dis­tress), act­if en Alle­magne, en Autriche, en Roumanie, en Hon­grie et en Afrique.
  • Con­gré­ga­tion de Notre-Dame de Char­ité du Bon-Pas­teur (RGS), parte­naire d’une série de wébi­naires organ­isés par l’Ordre de Malte sur la traite des êtres humains
  • La Com­pag­nie des Filles de la Char­ité de Saint Vin­cent de Paul, fdlc.
  • Soeurs de Saint Louis, avec la Mai­son Bakhi­ta à Lagos (Nigéria), dirigée par Sr. Patri­cia Ebegbulem.