La qua­si irrévo­ca­bil­ité de la promesse

 

Organ­isés autour de la pra­tique de l’esusu et struc­turés par les règles de fonc­tion­nement d’un groupe fer­mé, cer­tains mem­bres deLadies’ clubs à Benin City et en France sont en effet investis dans l’ex- ploita­tion sex­uelle des jeunes et femmes nigéri­anes sur le ter­ri­toire d’accueil. En ter­mes de posi­tion sociale, le club per­met égale­ment en France de mar­quer celles qui en font par­tie, celles qui peu­vent ou veu­lent y pré­ten­dre et les autres. De ce point de vue-là, l’appar- ten­ance à un club con­tribue à asseoir la hiérar­chie du spon­sor sur la vic­time. Ain­si, on peut con­sid­ér­er qu’il est impor­tant et rationnel d’adhérer à cet entre-soi ou du moins de chercher à y par­venir, et ce d’autant plus, que le mem­bre peut prof­iter égale­ment des béné­fices du club en ter­mes de sou­tien (A) et de ressources (B) financiers.

 

 

La qua­si irrévo­ca­bil­ité de la promesse

La déf­i­ni­tion du trau­ma peut être asso­ciée à l’image d’une effrac- tion psy­chique comme si la vio­lence et l’intensité de la peur avaient porté atteinte à l’intégrité de l’enveloppe du sujet. Au sein du rit­uel, cer­taines pra­tiques vont porter physique­ment atteinte à l’enveloppe cor­porelle et con­tribuer à empêch­er toute révo­ca­tion de la promesse. Par ailleurs, l’incertitude qui entoure ce que nous seri­ons ten­tés de qual­i­fi­er de régime juridique du ser­ment, à savoir les con­di­tions de valid­ité, de nul­lité, ou de révo­ca­tion, favorise un cli­mat d’incertitude qui accroît encore la vul­néra­bil­ité de la personne.

Élé­ments qui ren­dent la promesse dif­fi­cile­ment révocable

Au sein du proces­sus du ser­ment, les pra­tiques d’ingestion et de scar­i­fi­ca­tions évo­quées précédem­ment, vont avoir des effets con­si- dérables. Pour repren­dre les pro­pos de Tobie Nathan, on rap­pellera que: «Pos­séder un espace clos, corps ou mai­son, c’est avant tout avoir des lim­ites pro­pres, nettes […]. En revanche, des lim­ites floues, humides, incer­taines con­stituent la mar­que sen­si­ble de l’effraction ». En attaquant l’enveloppe qui délim­ite et pro­tège la per­son­ne, on altère sa représen­ta­tion du dedans et du dehors, du soi et du non-soi, et ain­si son sen­ti­ment d’intégrité indi­vidu­elle est détru­it. La notion d’identité devient caduque. Tobie Nathan explique qu’une per­son­ne non pos­sédée se sen­ti­ra «entière et pleine, avec des lim­ites qui mar­quent sa dif­férence à l’autre, tan­dis qu’à tra­vers l’effraction, le sor­ci­er sig­ni­fie à la vic­time que son enveloppe est per­cée et qu’elle ne peut plus garder la dif­féren­ci­a­tion entre soi et autrui»108. Ces pro­pos con­fir­ment les enjeux anthro­pologiques asso­ciés à ces dif­fé- rentes pra­tiques en ter­mes d’identité, d’appartenance et de créa­tion de liens. Au-delà, on ne peut ignor­er leur dimen­sion psy­chologique et l’on con­state, même si l’on ne saurait pré­ten­dre à une analyse exhaus­tive, que les deux champs se rejoignent autour de l’idée de faire accéder celui qui jure à une appar­te­nance nou­velle qui l’oblige de manière absolue, puisque la trahi­son l’expose à la mort. Le lien créé, que ce soit avec celle à laque­lle est prêtée l’allégeance ou, plus indi­recte­ment avec les autres mem­bres du groupe, se fait au mépris de l’individualité et de l’appartenance antérieure de la per­son­ne. De ce fait, toutes les ressources qu’elle pour­rait trou­ver dans son his­toire ou dans son envi­ron­nement pour qual­i­fi­er les pra­tiques subies et éventuelle­ment les déclar­er intolérables, vont être altérées si ce n’est anéanties. L’atteinte à l’identité emporte une atteinte à la capac­ité d’exprimer une volon­té pro­pre et de se révolter. Ces élé­ments sont encore con­fortés par l’utilisation des items au cours du serment.

La con­trainte exer­cée via la men­ace d’agir sur les items se révèle extrême­ment puis­sante. Tant qu’elle ne les a pas récupérés, la vic­time ne peut échap­per au pou­voir de ceux qui lui deman­dent de rem- bours­er sa dette sur ces objets mais aus­si sur sa vie : « Quand la mère de ma madam a appelé, (…) a dit qu’elle pou­vait plac­er une malédic- tion sur moi et que cela aurait un effet car elle avait mes « affaires » avec elle. À ce moment-là, j’étais ter­ri­fiée et j’ai décidé de lui envoy­er 20 000 nairas » (NT3).

Beau­coup de femmes font ain­si de la récupéra­tion des items une con­di­tion à leur affran­chisse­ment du groupe, que ce soit alors qu’elles sont encore en Europe ou une fois ren­trées au Nigéria. Le fait que les men­aces soient exer­cées sur la famille ren­force davan- tage encore leur enfer­me­ment et leur isole­ment. Sous l’effet de la peur, bon nom­bre de familles répug­nent à encour­ager la vic­time à s’affranchir du groupe. Le recours au juju est ici un élé­ment de con­trainte et de soumis­sion extrême­ment puis­sant face auquel il est dif­fi­cile d’élaborer des con­tre-poids en ter­mes juridiques. La dimen- sion irra­tionnelle de la men­ace mais aus­si son car­ac­tère imprévis­i­ble entra­vent la capac­ité de résis­tance des vic­times et ren­dent com­plexe toute action des tiers en vue de la neutraliser.

 

 

 

 

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