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FABRICE HADJADJ, DIRECTEUR DE L’INSTITUT EUROPÉEN D’ETUDES ANTHROPOLOGIQUES — MONDES VIRTUELS ET MONDE RÉEL : COMMENT HABITER LA TERRE DÉVASTÉE ?

FABRICE HADJADJ, DIRECTEUR DE L’INSTITUT EUROPÉEN D’ETUDES ANTHROPOLOGIQUES — MONDES VIRTUELS ET MONDE RÉEL : COMMENT HABITER LA TERRE DÉVASTÉE ?

Accueil­li par la Doyenne de la fac­ulté de Théolo­gie, Madame Élis­a­beth Par­men­tier, à l’U­ni­ver­sité de Genève, Fab­rice Had­j­daj présente, le 7 mars 2023, les dan­gers des métavers et les con­di­tions de l’é­d­u­ca­tion pour redonner aux jeunes la pos­si­bil­ité de rêver et de con­stru­ire un futur du bien commun.

Vous trou­verez ci-dessous la tran­scrip­tion de l’in­ter­ven­tion de Fab­rice Hadjadj :

FABRICE HADJADJ, DIRECTEUR DE L’INSTITUT EUROPÉEN D’ETUDES ANTHROPOLOGIQUES — MONDES VIRTUELS ET MONDE RÉEL : COMMENT HABITER LA TERRE DÉVASTÉE ?
UNIVERSITÉ DE GENÈVE – FACULTÉ DE THÉOLOGIE / 7 MARS 2023

 

Fabrice Hadjdaj présente les dangers des métavers et les conditions de l’éducation pour redonner aux jeunes la possibilité de rêver et de construire un futur du bien commun.

MICHEL VEUTHEY : Mille mer­cis à Fab­rice Had­jadj, et sans per­dre davan­tage de temps, je voudrais le remerci­er, et me réjouir de l’écouter. C’est en effet un rare événe­ment, mais vous serez cer­taine­ment très heureux de l’entendre ce soir et peut-être de lui pos­er des ques­tions. Fabrice.

ÉLISABETH PARMENTIER : J’ajoute sim­ple­ment un mot pour dire la joie de la Fac­ulté de théolo­gie d’accueillir Fab­rice Had­jadj. Vous con­nais­sez ses ouvrages de titres tou­jours spé­ci­fiques, et qui creusent vrai­ment dans le vécu. Réus­sir sa mort, Résur­rec­tion mode d’emploi, qui est une façon de lier finale­ment les let­tres aux écri­t­ures de façon orig­i­nale, mais sans vouloir être orig­i­nale. Mais de façon incar­née dans le corps du texte, avec la créa­tion, le don de créa­tion lit­téraire et poé­tique et philosophique. Donc, on est par­ti­c­ulière­ment heureux d’associer la théolo­gie protes­tante à cette aven­ture, et nous vous remer­cions aus­si de cette occa­sion qui nous est don­née à nous, de prof­iter de vos charismes, de vos dons et de votre écri­t­ure Je souhaite à tout le monde une excel­lente audi­tion, écoute, et présence, et mer­ci beau­coup d’être ici.

FABRICE HADJADJ : Mer­ci, Michel Veuthey pour cette invi­ta­tion. Mer­ci, Élis­a­beth Par­men­tier, cela ne se voit pas… qui a impro­visé tout à l’heure cette intro­duc­tion et je dois dire qu’elle l’a fait admirable­ment. Je suis extrême­ment touché ! En tout cas, cette impro­vi­sa­tion est la seule manière d’échapper à Wikipé­dia. Voilà ce qu’on me répète générale­ment à ce sujet.

Mon sujet, c’est « Monde virtuel et monde réel. Com­ment habiter la Terre dévastée ? »

Et d’emblée, je voudrais faire une intro­duc­tion : on pour­rait presque dire une intro­duc­tion épisté­mologique, à la fois sur la forme que doit emprunter une réflex­ion sur la tech­nolo­gie. Et sur le fond, c’est-à-dire ce que je vais abor­der, dans quel sens il faut enten­dre, notam­ment le mot dévastation.

Il y a un dou­ble prob­lème dans la cri­tique de la tech­nolo­gie. Car qui voudrait opér­er une cri­tique, opér­er un dis­cerne­ment devrait pren­dre, on pour­rait dire, une sorte de recul par rap­port à son objet. Et sou­vent, ce recul aboutit à une idée absol­u­ment absurde, on pour­rait dire, en tout cas aveu­gle, que l’homme est un ani­mal technicien.

Voilà ce qu’on oublie générale­ment, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de lieu en dehors de la tech­nique pour nous. La ques­tion, c’est d’où par­lons-nous ? On ne peut pas par­ler hors du domaine techno-économique.

Nous sommes tou­jours pris dans une trame tech­no-économique qu’on le veuille ou non ! Et vous voyez, s’en tenir à une sorte de moral­isme, comme il advient sou­vent, prône des valeurs face à la dom­i­na­tion tech­nologique, et on arrive à la banal­ité dans cer­tains dis­cours, le dis­cours sur le bon usage, le dis­cours sur le juste milieu, le dis­cours sur les dan­gers de l’essai. Vous voyez tous ces dis­cours rébar­bat­ifs d’une part, mais en plus, qui man­quent l’essence de l’objet qu’ils pré­ten­dent atteindre.

Et puis, l’autre pos­si­bil­ité, c’est de pré­ten­dre à une pos­ture con­tem­pla­tive, philosophique, qui serait détachée de ses con­di­tion­nements. Vous savez que Mar­tin Hei­deg­ger a eu une des pre­mières piscines chauf­fées de Fri­bourg-en-Bris­gau et ça, c’est très éton­nant quand on y réflé­chit. Le penseur de la tekhnè, on pour­rait dire une sorte de cri­tiques de la Heimat­losigkeit… la perte de la patrie. Et donc d’une cer­taine forme de réen­racin­e­ment peut-être néopaïen, je ne saurais pas trop dire, en tout cas proche de cette per­fec­tion-là. Mais la piscine chauf­fée, quel rap­port y a‑t-il avec la sai­son ? Quel rap­port y a‑t-il avec la terre quand on a une piscine chauf­fée ? C’est une question.

C’est la même chose, pour les poètes qui peu­vent chanter le tra­vail paysan, qui peu­vent chanter la nature, qui peu­vent chanter les femmes comme des déess­es, mais en atten­dant, ce sont ces femmes qui doivent s’occuper de leurs linges, de leur cuisine.

Vous voyez cet oubli de la con­di­tion tech­no-économique c’est ce genre d’aberrations, qui, pen­dant que je par­le, four­nit le chauffage, la lumière… une lumière affreuse, je veux dire, une baisse des éclairages au néon, bla­fards, un beam­er reste allumé, on n’a pas réus­si à l’éteindre. On a toutes ces choses-là, mais qui four­nit tout ça pen­dant que je par­le ? Je pour­rais faire toutes les cri­tiques pos­si­bles, Je suis inséré dans un dis­posi­tif techno-économique.

Donc, vous voyez, le pre­mier point, c’est que d’où par­lons-nous ? On ne par­le jamais en dehors d’un dis­posi­tif tech­no-économique. Et c’est ça, déjà, le pre­mier prob­lème dans toute cri­tique que nous pou­vons faire de la technologie.

Le deux­ième point, tou­jours avec ce prob­lème de la cri­tique de la tech­nolo­gie, tou­jours avec cette ques­tion de la forme que peut pren­dre cette cri­tique, c’est que la cri­tique de la tech­nolo­gie se fait le plus sou­vent à par­tir des critères de la technologie.

Il y a plusieurs manières d’entendre le mot tech­nolo­gie. Quand j’entends le mot tech­nolo­gie, c’est dans un sens fort. Il y a une manière anci­enne qui était de dire que c’est le dis­cours sur la tech­nique, parce que c’est une dis­ci­pline, la biolo­gie et la tech­nolo­gie. Le dis­cours sur la vie, sur la tech­nique, il y a une manière qui ren­voie sim­ple­ment à la tech­nique la plus avancée, celle des machines, celles des ordinateurs.

Mais pour moi, le mot tech­nolo­gie ren­voie à une chose qui est à la fois plus pro­fonde, mais qui est aus­si peut-être plus anci­enne, à un tech­nol­o­gos, c’est-à-dire une tech­nique qui vient avec son pro­pre logos, qui pro­duit un type de men­tal­ité. Ça, c’est ce que j’appelle technologie.

Vous pou­vez étein­dre vos ordi­na­teurs et être tou­jours dans la tech­nolo­gie, c’est-à-dire être tou­jours dans le type de rap­port au monde qu’induit sans doute la pra­tique des ordi­na­teurs. Mais même peut-être qu’en n’ayant jamais fréquen­té les ordi­na­teurs, il y avait une société pro­fondé­ment mar­quée par la tech­nolo­gie. Ce que cer­tains ont appelé un par­a­digme technocratique.

Par exem­ple, une chose qui est clas­sique pour nous, c’est de regarder une vidéo YouTube qui dénonce YouTube. Ça, c’est… Vous pou­vez aus­si faire de l’évangélisation, ou par­ler de la Torah sur Tik­Tok. Comme rap­port qui est peut-être accès à quelque chose, mais vous com­prenez qu’il y a ici un problème.

Ou encore, j’en ai sou­vent par­lé, le vocab­u­laire qui ne demande pas d’être util­isé lorsqu’on résiste au monde virtuel, c’est de dire : « Il faut se recon­necter au réel. » Là, par­ler du rap­port, se recon­necter à la nature, par­ler du rap­port à la nature réelle en ter­mes de con­nex­ion, c’est-à-dire, vous vous met­tez devant un arbre et vous atten­dez que la nature vous appa­raisse finale­ment comme votre fond d’écran. Vous voyez qu’il y a quand même un prob­lème. Ce n’est pas un rap­port de con­nex­ion qui est en jeu, mais quelle est la modal­ité du rapport ?

L’état de paysan n’est pas dans un rap­port de con­nex­ion à la nature. Je l’avais dit, je vais me recon­necter à la nature, c’est un rap­port laborieux, c’est un rap­port dif­fi­cile. Il y a des savoir-faire ances­traux, il y a une attente. Donc, c’est ce que nous cri­tiquons en étant embar­qués déjà dans la tech­nolo­gie, et même toute la réduc­tion de la… On n’est plus autre chose.

De la spir­i­tu­al­ité, par exem­ple. Moi, je n’aime pas trop ce nom, mais à des logiques de bien-être, des recettes de bien-être. On ne vous pro­pose plus le mys­tère de la croix, mais un procédé de bien-être, ce qui est à peu près l’inverse. Donc, cela même, vous le retrou­verez partout. Dans le charis­ma­tisme où l’Esprit Saint tombe sur vous, et quand il avait trou­vé le bou­ton de votre âme, vous venez dans une sorte d’état sec­ond qui résout tous vos prob­lèmes, ou alors dans le tra­di­tion­al­isme, il suf­fit de suiv­re toutes les procé­dures du Nicée de 1962, pour aboutir ex opere oper­a­to à la sanc­ti­fi­ca­tion des âmes. Là encore, on est dans des logiques d’automatisme, et c’est deux mou­ve­ments qu’on pour­rait croire d’ailleurs, plus con­tem­po­rains que l’autre, même le tra­di­tion­al­isme peut tomber sous le par­a­digme tech­nocra­tique, et croire qu’il est un phénomène de tra­di­tion, alors qu’il est un phénomène postmoderne.

Ou encore la rhé­torique clas­sique qu’il faut mieux con­trôler la tech­nolo­gie. Mais et si juste­ment, la logique tech­nologique était celle d’un rap­port de con­trôle au réel ? Et ça, c’est typ­ique, par exem­ple, de ce lieu que j’appelle l’écotechnologie, où il s’agit de sauver la planète. Le mot « to save », c’est un mot infor­ma­tique. C’est con­serv­er, to save every­thing, click here. Pre­mière chose, il faut sauver la planète. La planète, vous savez bien, n’existe pas pour un paysan, il a une terre. Qu’est-ce que c’est que la planète ? C’est une vision déjà d’astronaute, donc une vision déjà dis­tance sur un écran. Puis, les prob­lèmes sont liés à des paramètres. On mesure le jour du déplace­ment, etc. Ce qui fait qu’un rap­port à la nature, est un rap­port avant tout à un tableau de bord, où tous les voy­ants doivent être au vert.

Ça mon­tre qu’alors même que l’on cherche à trou­ver une solu­tion, la logique même de la solu­tion est tech­nologique. La forme de la solu­tion, d’ailleurs, peut-être même que raison­née en ter­mes de solu­tion ou en ter­mes de drame, par exem­ple, de drame à assumer, c’est déjà l’emprise tech­nologique qui se referme sur nous.

Cepen­dant, je ne suis pas en train de dire que ces paramètres sont à rejeter, etc. Il faut les con­sid­ér­er, mais ça ne nous fait pas sor­tir de cette emprise.

Alors voilà le prob­lème du dis­cours cri­tique sur la tech­nolo­gie, et vous allez voir que je vais remon­ter très en amont pour essay­er de penser cette ques­tion du virtuel. J’en arrive à mon sujet plus pré­cisé­ment. Et dans ce titre, il y a cette ques­tion de la terre dévastée.

Et bien sûr, vous pensez tout de suite à la dévas­ta­tion qu’on peut appel­er extérieure. Dévas­ta­tion extérieure qui est le fait que par l’Internet, par les con­nex­ions, il n’y a plus ni proche ni loin­tain, il n’y a plus de rap­port véri­ta­ble à l’espace. Si quelqu’un, par exem­ple, cette con­férence est en live Face­book, est-ce que vous y êtes ? Est-ce que vous n’y êtes pas ? On ne peut plus, il y a une his­toire de sus­pen­sion du statut ontologique de la chose. Est-ce qu’elle est présente ? Est-ce qu’elle est absente ? Elle n’est ni présente ni absente, elle n’est ni proche ni lointaine.

J’aimerais bien rap­peller le sans dis­tance. Et c’est d’abord ça, cette ques­tion de la dévas­ta­tion. C’est-à-dire qu’il n’y a plus de vécu du lieu. Vous n’êtes nulle part chez vous, parce que chez vous, de toute façon, entre l’information mon­di­ale. Et donc, il n’y a plus non plus d’ailleurs, parce que l’ailleurs, c’est juste­ment par dis­tinc­tion, par con­tra­po­si­tion avec un chez-soi. Donc ça, c’est un type de dévas­ta­tion, déjà, dans l’expérience de l’espace.

Mais bien sûr, comme vous le savez, par ailleurs, le dis­posi­tif d’Internet a cette logique qui est très intéres­sante, qui est le pro­pre de l’écran. L’écran se présente comme une fenêtre, et vise à la trans­parence. C’est-à-dire, à pri­ori, je pour­rais tout voir par cette fenêtre-là. Le monde entier est à dis­po­si­tion, et en quelques clics, j’arrive n’importe où, d’une cer­taine façon. Et en même temps, cet écran, par déf­i­ni­tion, Win­dows, toutes les fenêtres le sont, est aus­si ce qui fait écran, et con­stitue une capac­ité rad­i­cale. C’est intéres­sant de toute façon.

Tout désir de trans­parence totale se retourne en opac­ité. Parce qu’on oublie les médi­a­tions, on oublie tout ce qu’il faut de labeur pour un dévoile­ment. On oublie que les choses cachées restent cachées, et par là, qu’est-ce qui se passe ? On pré­tend tout vous mon­tr­er, mais par exem­ple, vous ne savez plus en quoi con­siste le hard­ware de ce que vous voyez. Le hard de l’Internet. C’est quoi le hard ? C’est que l’Internet désor­mais pro­duit plus de CO2₂ que tout le traf­ic aérien. Ce sont des câbles sous la mer, c’est 16 % de l’électricité mon­di­ale. C’est quelque chose qui, dans sa matéri­al­ité même, opère une forme de dévas­ta­tion. Ça, c’est une chose qu’on pré­tend ne pas voir. C’est très intéres­sant les gens qui dis­ent : « On ne veut plus utilis­er de papi­er, on va envoy­er les choses unique­ment en PDF. » L’idée, c’est que tout s’est dématéri­al­isé alors qu’en réal­ité, il y a une matéri­al­ité cachée. C’est le principe de ces appareils. C’est-à-dire qu’elles nous livrent des choses à porter de mains, et elles nous cachent tout le sys­tème d’exploitation, comme ça s’appelle d’ailleurs, qu’il y a der­rière. En gros, c’est le même sys­tème que la croisière. Vous êtes sur le pont, vous prof­itez du soleil, les con­ver­sa­tions, vous faites un bridge avec les autres pas­sagers, mais pen­dant ce temps, il y a des gens qui tra­vail­lent dans les salles des machines, et vous ne vous en préoc­cu­pez absol­u­ment pas, vous ne devez pas vous en préoc­cu­per. Si éventuelle­ment, vous lisez dans le jour­nal sur le pont en bron­zant, des choses sur la con­di­tion du tra­vailleur. Vous n’étiez pas sur le pont par exem­ple. Mais vous com­prenez, c’est exacte­ment ce qui se passe. Vous regardez sur Inter­net des cri­tiques d’Internet, c’est en per­ma­nence cela… Vous voyez bien aus­si que le monde dévasté, c’est aus­si ça, c’est-à-dire que tous les pro­jets tran­shu­man­istes sont en fait du même type que l’écran, c’est-à-dire que ce sont des écrans fumés. Ce sont des écrans fumés.

D’ailleurs par­fois, c’est dit explicite­ment. Un cer­tain Luiz, qui a été prési­dent de l’Académie royale des sci­ences d’Angleterre a dit de toute façon, en gros, il n’a pas dit comme ça. Il a fait l’éloge de l’intelligence arti­fi­cielle en dis­ant que l’intelligence qui est liée au cerveau humide est vouée d’une cer­taine façon à dis­paraître… Donc, c’est foutu ! Et alors, on fuit en avant, en croy­ant à la réal­i­sa­tion des métavers ou ces choses-là. Mais en réal­ité, ce qui se passe, c’est qu’on essaye de se cacher que ce métavers lui-même con­tin­ue à détru­ire les réal­ités aux sources naturelles et aux sources ordi­naires de l’humanité. En même temps, on scie la branche sur laque­lle on est assis, sur laque­lle on a un écran qui nous aver­tit, mais qui nous aver­tit tou­jours en nous diver­tis­sant. C’est ça le para­doxe de cette dévastation ..!

Mais par delà cette fuite en avant de la dévas­ta­tion extérieure, je voudrais vous par­ler d’une dévas­ta­tion aus­si intérieure. Et je peux vous en par­ler d’autant moins que j’ai eu une con­ver­sa­tion, pas plus tard que same­di dernier à Nice, où il y avait quelque chose d’organisé par la com­mu­nauté des librairies indépen­dantes de Nice. Et je fai­sais une con­férence dans une librairie sur ce qu’on appelle « Les lit­téra­tures de l’imaginaire », parce que j’ai écrit une saga qui s’intitule L’attrape-malheur, en trois vol­umes, que cer­tains de vous ont lu ici. Que je remer­cie, telle­ment elle aime le livre. C’est du Seigneur des anneaux, et quel est le sens de ce type de lit­téra­ture ? C’est Éva­sion ou espérance ? J’avais des gens qui venaient, il y avait une jeune fille, qui est en classe de Ter­mi­nale de lycée, qui est venue avec son père, entraînée par son père. Je lui ai demandé com­ment elle s’appelait ? elle m’a dit qu’elle s’appelait Fleur. Je lui ai posé la ques­tion à cette Fleur : « Est-ce que tu lis ? » Elle m’a dit : « Non. » Alors moi, vieux jeu, je lui réponds : « Tu regardes des séries sur Net­flix ? » Elle me répond : « Non, c’est trop long. Ça m’ennuie. » J’ai dit : « Tu fais quoi ? » Elle me répond : « Je regarde mon télé­phone. », « Et qu’est-ce que tu regardes ? Qu’est-ce que tu préfères ? » Elle me dit : « Rien. Ce qui passe, ce qui tombe sur mon fil. » Donc, je com­prends qu’elle regarde tout sur Tik­Tok. Je lui ai dit : « Tu regardes ce qui a été choisi par une intel­li­gence arti­fi­cielle en fonc­tion des choix précé­dents ? » Elle me dit : « Oui. » Et en même temps, je sens bien qu’elle essaie d’éviter cette con­ver­sa­tion. Je vis même l’impossibilité, mal­gré mes efforts socra­tiques, vous voyez, de nouer une vraie con­ver­sa­tion. Je lui pose la ques­tion : « Com­bi­en de temps dure une vidéo Tik­Tok en moyenne ? » Elle me répond : « Je ne sais pas, entre 3 et 30 sec­on­des. » J’ai regardé sur le site Videotelling qui recom­mande pour tous les Tik­Tok­ers, l’idéal de 7 à 15 sec­on­des. Donc, elle était vrai­ment dans la moyenne. Divisé par deux, mul­ti­plié par deux. Je lui ai dit : « est-ce que tu as enten­du par­ler de la dopamine ? » Là, c’était une sorte de petite rup­ture. Pour sus­citer, un peu comme mon champ de vidéo, à peu près trois sec­on­des. Elle me dit : « Ouais, vague­ment, c’est le truc de la récom­pense du cerveau. » Je lui ai dit : « Oui, effec­tive­ment. » Il y a un truc Tik­Tok de trois sec­on­des au moins là-dessus. Je lui ai dit : « Tu sais que l’algorithme de Tik­Tok tra­vaille avec cette drogue intérieure que tu sécrètes toi-même ? » Et alors là, pas de réponse. Et je lui ai dit aus­si : « Tu sais que le tem­po 3 à 15 sec­on­des max­i­mum finit par détru­ire ta capac­ité d’attention ? » Là, déjà, elle avait tourné la tête, elle regar­dait vers son télé­phone avec le pouce qui avait la démangeai­son de scroller. Vous voyez, c’est cette dévas­ta­tion qui est la plus red­outable. Dévas­ta­tion de l’attention…

Dévas­ta­tion même, j’y reviendrai, qui inter­dit… la recherche même d’une sig­ni­fi­ca­tion ou d’un sens, qui se place en amont de tout cela, qui vient nous sat­is­faire à par­tir de phénomènes que les phonéti­ciens con­nais­sent, des besoins rudi­men­taires du cerveau qui créent une sorte d’hypnose ! Bien sûr, quand on sort de cette hyp­nose, on décou­vre le désas­tre de son existence.

Mais quand on décou­vre le désas­tre de son exis­tence, on se jette à nou­veau beau­coup plus forte­ment dans cette hyp­nose. Vous voyez, ce dont je vous par­le, c’est bien sûr, non seule­ment de l’addiction, mais du sui­cide des jeunes.

La dévas­ta­tion intérieure, elle est là !

Non seule­ment dans le fait que les Européens ne font plus d’enfants, à part moi, même si j’ai accueil­li mon dix­ième enfant ce 27 jan­vi­er dernier, à part quelques-uns, ça, il faut le dire, on est en pleine implo­sion démo­graphique et en plus, quand ils en font, les enfants se sui­ci­dent. Voilà, c’est ça que je voulais dire. Effec­tive­ment, ça ne donne pas très envie. Là, je le recon­nais en même temps. Donc, qu’est-ce qui se passe ?

Il faut par­ler de cette chose-là. Bien sûr, ce n’est pas sans lien avec les mon­des virtuels et on est dans une sorte de boucle ici où, vous voyez… Pourquoi est-ce qu’on veut un homme aug­men­té ? C’est parce qu’on est d’abord un homme diminué… !

Nous avons été dimin­ués, nous avons été privés de com­mu­nauté, nous avons été privés de savoir-faire.

Nous dépen­dons de plus en plus d’un dis­posi­tif et nous voulons être directe­ment implan­tés, cérébrale­ment, etc, dans ce dispositif.

Donc, vous voyez com­ment la dévas­ta­tion intérieure nour­rit le dis­posi­tif de dévas­ta­tion extérieure.. !

C’est ça ce que nous sommes en train de vivre. Mais la ques­tion n’est pas sim­ple parce que qu’est-ce qu’on va pro­pos­er d’autres ? L’Europe est en plein déclasse­ment économique, même l’élan libéral s’effondre. C’est la fin des utopies politiques.

Je regrette pour mes enfants le temps du com­mu­nisme. Au moins, il y avait un truc dans lequel s’enrôler. Vous voyez, on n’était pas tout de suite livrés à la réal­ité de l’existence. On pou­vait avoir quelques illu­sions inter­mé­di­aires, mais qu’on n’a pas tout de suite, vous voyez, on pour­rait dire des espoirs mondains inter­mé­di­aires avant d’aller dans la nudité de l’espérance théolo­gale. Il y a une nuit… Jean de La Croix par­le de la nuit de l’espérance. À mesure qu’on entre dans l’espérance, on dés­espère de plus en plus et du monde et de nos pro­pres moyens.

Quand on est jeune, il faut quelque chose qui ait du souf­fle, de ne pas tout de suite par­ler de la fin des temps. Donc, qu’est-ce qui se passe ? Et je dois dire que la pandémie a créé quelque chose, bien sûr. On a vu les chiffres sont sor­tis d’augmentation de 80 à 90 % entre… Oui, on a des aug­men­ta­tions extra­or­di­naires entre 2004 et main­tenant. On est passé de la dépres­sion chez les jeunes de 4 % à 25 %.

Ce qu’on dit main­tenant, c’est peut-être aus­si à cause de la mod­i­fi­ca­tion des psy­cho­logues. Je ne sais pas, mais il faut faire atten­tion à ces chiffres internes. Il y a aus­si une hyper psy­chol­o­gi­sa­tion de tous les prob­lèmes, mais il y a quand même aus­si une réal­ité et que moi, j’ai expéri­men­té avec les jeunes de l’Institut Phil­an­thro­pos : c’est qu’en quelques années, il y a eu une éro­sion de la san­té psy­chique de mes étu­di­ants. À chaque fois main­tenant, on a des étu­di­ants qui ont de plus en plus de mal, qui vien­nent avec des prob­lèmes, qui ont besoin de plus de suivi et d’attention, y com­pris sur le plan psy­chologique. Donc ça, c’est une réalité.

Et la pandémie… Je ne dis pas le con­fine­ment. Le con­fine­ment a été vécu de manière très diverse dans les per­son­nes. Et sou­vent, on se focalise là-dessus, mais la réal­ité, c’est que la pandémie a sus­cité une défi­ance aus­si bien à l’égard de la sci­ence qu’à l’égard de la nature. La sci­ence, parce qu’elle s’est mon­trée com­plète­ment con­tra­dic­toire et impuis­sante, et la nature, parce qu’on se sou­vient qu’elle est source d’épidémies et qu’elle n’est pas juste le lieu de la mer­veille où retourn­er à la nature c’est se porter bien. Donc cette dou­ble défi­ance, c’est que même ce qui restait encore, je dirais même le com­bat écologique, je pense que la fine pointe de la jeunesse aujourd’hui n’y croit plus.

Donc, vous voyez, ni tran­shu­man­isme, ni ani­mal­isme, évi­dence d’une extinc­tion en tout cas. Et alors, pourquoi ne pas tir­er son épin­gle du jeu, fuir dans les mon­des virtuels, puisque tout est foutu.. ?

C’est d’ailleurs ça ce qui se passe dans le wok­isme. Ne com­met­tez pas l’erreur de ces gens de droite réac­tion­naires qui croient que le wok­isme est l’extrémité de la pen­sée de gauche. Un nou­veau développe­ment lib­er­taire, etc., ce n’est pas du tout ça. C’est qu’en fait, on ne croit plus en rien !

On a l’impression que l’évolution nous a trompés. Pourquoi est-ce que je suis dans ce corps ? La biolo­gie nous a trompés, puisque ça ne veut dire rien d’autres. Ou bien que je sois homme, femme, etc. Cha­cun tire son épin­gle du jeu. Même quand on revient en arrière et qu’on regarde l’histoire de l’Occident, cet Occi­dent qui promet­tait la réus­site, qui promet­tait… Tant qu’elle promet­tait cela, on savait bien que tous ces pro­grès retombaient sur l’ensemble de l’humanité : on fer­mait les yeux sur l’esclavage puisqu’au bout du compte, c’était au béné­fice de tous… Et on allait de l’avant.

Mais si on a l’impression que c’est le mur, alors, on regarde en arrière et on se dit : « Pourquoi ? » Et on arrive à ces choses où la hiérar­chi­sa­tion, la hiérar­chi­sa­tion n’est plus la hiérar­chi­sa­tion des grands hommes, des héros, des con­quérants qui sup­po­saient encore un élan his­torique, mais ça devient la con­cur­rence des vic­times. Qui c’est qui a le plus souf­fert ? Qui c’est qui peut revendi­quer davan­tage le nom de son statut de vic­time ? Puisqu’après tout, toute l’histoire n’est qu’une his­toire de victimes.

Vous com­prenez que le wok­isme est lié à cet état de dérélic­tion et qu’on ne peut pas s’en sor­tir sim­ple­ment en dis­ant : « On va retrou­ver le moment nation­al, il faut réha­biliter l’homme blanc, etc. » Tout ça, c’est… Bien sûr qu’il y a des délires dans le wok­isme. Il y a une grande dérai­son du wok­isme, mais elle a des raisons pro­fondes et bien plus pro­fondes que la plu­part des gens qui la critiquent.

J’en arrive main­tenant à la reprise, prévoir ce que c’est cette sorte de sit­u­a­tion de prob­lème, aus­si bien dans la méth­ode que sur le fond du prob­lème. J’en arrive à mon sujet sur les mon­des virtuels et mon­des réels. Et vous allez voir que comme je vous l’avais promis, il faut revenir un petit peu en amont.

Donc, les mon­des virtuels datent de la plus haute antiq­ui­té. Et même, je dirais, du paléolithique. Déjà, dans la grotte de Las­caux, vous voyez, il y a 19 000 ans à peu près, dans du mag­dalénien, ou encore même, on pour­rait dire la grotte de Chau­vet, qui, elle, est à 34 000, 37 000 ans. C’est assez éton­nant pour ceux qui voudraient faire l’histoire de l’art et qui pensent qu’il n’y a que du pro­grès. Chau­vet qui est le dou­ble de Las­caux, c’est mieux. J’ai l’impression qu’ils étaient plus doués, les gars. Ça, c’est très, très éton­nant. Mais bon. Qu’est-ce qui se passe ? Vous avez déjà vu la grotte de Chau­vet ? C’est fait ? On pense que c’était déjà du ciné­ma. Il y a une dimen­sion ciné­matographique. Et du ciné­ma, ciné­matographe en relief. Donc, on utilise les reliefs de la pierre pour faire les gueules des ani­maux, on décom­pose sou­vent leurs mou­ve­ments de telle sorte que quand vous passiez à la torche à l’intérieur de ces grottes… Parce que les hommes de la préhis­toire étaient des artistes con­tem­po­rains, comme vous le savez. Ils organ­i­saient des expo­si­tions au fond de grottes dans le noir. C’est déjà génial comme con­cept. Et puis, vous veniez avec votre lumière et tout d’un coup, vous éclairiez telle ou telle chose et à par­tir de ce phénomène-là, vous aviez un effet ciné­matographique. Donc voilà, monde virtuel, déjà. Et on sait très bien que ce monde virtuel est un monde rit­uel qui impli­quait, qui régu­lait, qui organ­i­sait le rap­port au monde extérieur, à la réal­ité de la chas­se, le rap­port aux bêtes, etc.

Ce que je suis en train de dire, c’est que c’est là que se trou­ve notre dif­férence avec les autres ani­maux. L’homme, la femme aus­si, ne sont pas tout à fait du monde. Les autres ani­maux sont insérés dans un envi­ron­nement. Ils sont part d’un écosys­tème, pour­rait-on dire, même si je n’aime pas trop ce vocab­u­laire. L’homme, lui, se détache tou­jours d’un sim­ple envi­ron­nement. Il n’est pas dans un monde, à un lieu, dans un écosys­tème, il est face au monde. Et se trou­ver face au monde sup­pose quand même de n’être pas tout à fait du monde. Et cela, je ne vais pas vous le faire au nom d’un quel­conque spir­i­tu­al­isme, je pour­rais vous le faire au nom de Jean-Paul Sartre, la capac­ité de néan­ti­sa­tion de l’homme et dans la tête de Sartre, l’imaginaire, qui mon­tre que par son imag­i­na­tion, ou par la con­sti­tu­tion d’un monde virtuel intérieur, l’homme se désen­glue, prend de la dis­tance, ce qui per­met de penser le monde d’être en vis-à-vis du monde, d’être respon­s­able pour le monde, etc.

Ou alors Marx, dans l’idéologie alle­mande. Marx dit la chose suiv­ante : « Le pre­mier acte his­torique des indi­vidus humains par lequel ils se dis­tinguent des ani­maux… » On voit Marx qui oppo­sait l’homme et les ani­maux dans ce texte. Moi, j’ai dit « les autres ani­maux ». On recon­nait que c’était ça, parce qu’on recon­nait que l’homme est un ani­mal, mais je suis plus matéri­al­iste que Marx. « Le pre­mier acte his­torique des indi­vidus humains par lequel ils se dis­tinguent des ani­maux n’est pas qu’ils pensent, mais qu’ils se met­tent à pro­duire leur moyen d’existence. Ça, c’est une phrase assez para­doxale, si on entend bien la notion d’acte his­torique. Mais il dit que les hommes n’ont pas un envi­ron­nement naturelle­ment don­né, une fois pour toutes, ils fab­riquent leur pro­pre envi­ron­nement. Et c’est cette trans­for­ma­tion de leur envi­ron­nement qui con­stitue le car­ac­tère non seule­ment cul­turel, mais his­torique de l’homme, de l’humain. Et donc aus­si, par ces envi­ron­nements qui sont tou­jours his­toriques et arti­fi­ciels chez l’homme, en tout cas cul­turels, la pos­si­bil­ité d’oublier le soubasse­ment au regard naturel, d’épuiser par exem­ple les ressources et donc de détruire.

Tou­jours la pos­si­bil­ité de destruc­tion, bien sûr. Mais vous voyez, ce qui con­stitue mal­gré tout l’écart avec l’environnement ini­tial, ce qui forme le pro­jet et l’acte his­torique, c’est tou­jours l’existence d’un monde virtuel. Et ici, il faut pren­dre le monde virtuel qui se trans­forme, c’est-à-dire un monde intérieur, un monde idéal, spir­ituel, qui a une puis­sance spir­ituelle, dans ce sens, qui a une ver­tu. Donc quelque chose qui a une dimen­sion à la fois fic­tive et fac­tice, qui relève de l’image du réel et qui, en même temps, nous pousse à trans­former le monde en fonc­tion de cette image du réel. Vous com­prenez que notre rap­port… Il y a le monde réel, d’ailleurs. On ne par­le de réel que par rap­port au men­tal, je vous rap­pelle, donc, ça sup­pose que même le rap­port au réel n’est jamais immé­di­at chez nous et passe tou­jours par un monde virtuel et qu’habiter le monde pour l’homme, à la dif­férence des autres ani­maux, a tou­jours obéi à une loi du détour ou une loi du retour. Il y a une loi du détour qui peut être conçue soit comme un retour, soit comme un envoi. Donc non seule­ment ce détour qui est celui d’une trans­for­ma­tion matérielle, mais cette trans­for­ma­tion matérielle se fait à par­tir d’un cer­tain imag­i­naire et cet imag­i­naire part d’un monde virtuel.

Il peut avoir la forme soit d’une odyssée, soit d’une mis­sion. Ces deux fig­ures, vous pensez tout de suite à Ithaque et à la Terre promise, avec Ulysse qui fait retour après la guerre de Troie. Heureux qui, comme Ulysse, ça vous fait rêver. On décou­vre l’importance du ruis­seau, du lyré, de vivre entre ses par­ents, de retrou­ver sa terre, qu’à par­tir de ce détour, parce qu’on a été exilé à Rome.

Comme Joachim Du Bel­lay, Chester­ton racon­te cette his­toire de l’ « ortho­dox­ie », qu’il va repren­dre d’ailleurs dans Man­alive. L’orthodoxie, c’est l’histoire d’un homme qui cherche vrai­ment le pays où résider enfin. Il y a une his­toire de pays idéal. Donc, il quitte chez lui, il va pren­dre le bateau, il va faire un périple tout autour du monde et puis, un jour, à tra­vers des brumes, il voit un rivage, il se dit : « C’est là ». Et tout d’un coup, ça par­le à son cœur, il est per­suadé que c’est là qu’il doit établir sa rési­dence dans ce pays qui vient se décou­vrir à lui. Et là, il vient de voir qu’il a fait le tour du monde et est ren­tré chez lui. Ça, c’est typique.

Ça, c’est la fig­ure de l’Odyssée. Mais la fig­ure d’Ulysse est une des fig­ures de la loi du détour. L’autre fig­ure, bien sûr, plus typ­ique, c’est celle d’Abraham, où il n’y a pas de retour.

Il s’agit d’aller et de quit­ter d’abord, et d’aller vers la Terre que je te mon­tr­erai. Avec en plus cet « ce que je te ferai voir », avec cette sorte d’avenir, de pèleri­nage, en tout cas de mis­sion en avant. Et que ce soit dit entre nous, on pour­rait dire entre Ulysse et Abra­ham, même s’il vient seule­ment après Abra­ham dans l’invention du per­son­nage, il y a Enée qui quitte défini­tive­ment Troie qui est à lui, il peut venir en Ital­ie. Vous voyez, le moment romain est décisif pour l’articulation entre Athènes et Jérusalem.

Donc vous voyez que la manière d’habiter, pour nous, le monde passe tou­jours par ce détour. Par ce détour qui est de l’imaginaire, du mythe, de la légende. Si vous pensez, par exem­ple, aux Song­lines des aborigènes d’Australie, si vous n’avez jamais vu ce livre mer­veilleux de Bruce Chatwin, un véri­ta­ble écrivain voyageur, puisqu’il y a beau­coup de faux écrivains voyageurs aujourd’hui, de fils à papa, qui fuient la con­di­tion con­ju­gale. Je n’aimerais pas ça. Mais enfin, juste­ment, l’écrivain qu’était Bruce Chatwin. Et Bruce Chatwin a écrit un livre, en français, ça s’ap­pelle Song­lines- ‑ça s’ap­pelle en français Le Chant des pistes, où il s’in­téresse à ces chants des aborigènes d’Aus­tralie qui cor­re­spon­dent à leurs cadas­tres : vous n’avez pas des titres de pro­priété, avec des choses déposées à la mairie, mais vous aviez un chant. Et ce chant décrit un espace autour de vous tel qu’il se man­i­feste à vous au rythme de la marche. Et à chaque fois, tel arbre, telle mon­tagne, des choses qui avaient un réc­it mythique qui racon­te com­ment cette mon­tagne est apparue, pourquoi cet arbre, pourquoi cette colline ? La manière d’habiter le monde se fait par le chant, à tra­vers le chant et à tra­vers un chant qui charge ce monde en sig­ni­fi­ca­tion, charge de sym­bole, mais qui le charge de sens, bien sûr, et qui rap­pelle à l’homme les gestes qu’il doit accom­plir pour être un homme ajusté ou juste.

Parce que la ques­tion de la jus­tice est peut-être plus biblique, mais en tout cas, un homme ajusté.

C’est la même chose, vous savez, dans la Torah, ce n’est pas les song­lines des aborigènes, mais c’est la sain­teté des fils d’Israël. Com­ment est-ce que vous habitez la Terre promise ? Vous n’habitez que dans la justice.

Si vous oubliez la jus­tice, vous pou­vez dire : « Cette Terre est à moi parce que j’y suis né par enracin­e­ment. » Il est grec.

« Cette Terre est à moi parce que je la cul­tive. » Il est romain, toute la culture…

Mais ce qui est juif par excel­lence, c’est qu’on n’habite une terre que dans la justice !

On peut l’avoir très bien cul­tivée, être né là. Si je ne partage pas les richess­es, si je ne vis pas la jus­tice : « Je suis déporté ! » Je serai pris en esclavage par une autre nation, comme l’an­nonce l’Éter­nel à Abra­ham (Genèse 15_13).

Si j’engraisse… Vous vous ren­dez compte, avant même qu’il ren­tre sur la Terre promise, le Can­tique de Moi­se, la fin du Deutéronome, pas les can­tiques qu’on chante, qu’on a été le cheva­lier, le cav­a­lier, l’égyptien… Ça, c’est des can­tiques chou­ettes de la libéra­tion. On aime bien la libéra­tion, on aime beau­coup moins la lib­erté, c’est-à-dire la responsabilité.

La respon­s­abil­ité, c’est qu’est-ce que tu fais avec la lib­erté ? Est-ce qu’elle te fait devenir un nou­veau pharaon ? Et là, vous voyez, avant d’entrer dans la Terre promise, il y a cette annonce, ce can­tique, que Dieu, devant ses palais… Ce n’est pas un chant qui vient spon­tané­ment, demande comme un can­tique témoin. C’est quoi le can­tique témoin ? Il leur dit : « Vous allez ren­tr­er et vous allez être telle­ment con­tent, vous allez prospér­er, vous allez engraiss­er, vous allez m’oublier. Vous allez tomber dans l’injustice. Et là, une nation stu­pide vien­dra vous chercher et vous serez déportés. » Avant même toute l’histoire de la roy­auté d’Israël, du schisme, de Salomon qui vient d’être grand sage et qui appa­rait ensuite comme le nou­veau chef de corvée, nou­veau pharaon… Toute cette his­toire est annon­cée à l’avance !

Vous voyez, je ne peux habiter le monde qu’à par­tir, aus­si, de la révéla­tion de la sain­teté et je ne peux pas l’habiter comme ça immédiatement.

Vous voyez, je mets en par­al­lèle les song­lines d’Aborigènes, les Psaumes de David. Mais en tout cas, c’est la même struc­ture. Mon but, ce n’est pas de faire de la catéchèse ici. C’est vrai­ment de mon­tr­er les struc­tures anthro­pologiques fondamentales.

Et sans cela, vous voyez, c’est soit l’apesanteur, sans ces chants ou sans cette mémoire de la lib­erté et de la loi, c’est l’apesanteur ou la dépor­ta­tion. Vous com­prenez que la fas­ci­na­tion pour les métavers s’appuie sur cette vérité anthro­pologique. C’est cette loi du détour qui fait qu’on peut se per­dre dans ce qu’on appelle stricte­ment aujourd’hui le virtuel. Parce qu’elle est normale.

C’est cette loi du détour qui fait qu’on peut se per­dre en chemin !

Et je tiens à le pré­cis­er, la pos­si­bil­ité de se per­dre en chemin est intrin­sèque à la con­di­tion humaine. C’est ça aus­si qui fait la dis­tinc­tion avec les autres animaux.

Et même, d’après la Bible, nous com­mençons tou­jours à nous trou­ver perdus ?

J’aime bien cette expres­sion : « À nous trou­ver per­dus ». Donc, à par­tir de cette con­stata­tion, vous voyez, je suis revenu vrai­ment en amont sur les réal­ités anthro­pologiques. On ne peut oppos­er à l’existence des mon­des virtuels un rap­port immé­di­at au réel. Décon­necte-toi de truc, con­necte-toi à la nature. Décon­necte… Ça n’a aucun sens.

J’avais un ami qui dis­ait : « Ne vois plus de films au ciné­ma parce que ça te détourne de la réal­ité. Ce n’est qu’un diver­tisse­ment. Mais occupe-toi des tiens, etc. » Je dis : « Oui, mais moi, je m’occupe des miens. Si je vois un bon film, ça peut aus­si m’apprendre à m’occuper des miens. » On passe tou­jours par des fic­tions, des grands textes, des grands romans, des grands exemples…

Com­ment se joue notre rela­tion ? Tou­jours par ces détours.

La fic­tion habite l’homme et c’est tou­jours par ce détour. Donc, l’affirmation d’un rap­port immé­di­at au réel est absurde ou bien cor­re­spondrait à une régres­sion ani­male, une régres­sion bes­tiale. Et je voudrais être dans le monde comme les bêtes sont dans le monde, c’est-à-dire dans un envi­ron­nement avec des sortes de mécan­ismes qui se passent. Donc, vous voyez, la ques­tion n’est pas la ques­tion de l’immédiateté. Il y a tou­jours un détour et il y a tou­jours un détour, on pour­rait dire, par de l’imaginaire, par le monde virtuel.

La vraie ques­tion, c’est : le bon ou le mau­vais détour ?

Et aus­si ne pas se per­dre en chemin ! Comme je le disais.

Mais aus­si, avant même cette ques­tion : il y a la cer­ti­tude, et ça, j’aurais trop insisté là-dessus, si on ne veut pas tomber dans le par­a­digme tech­nocra­tique, la cer­ti­tude que rien n’est automa­tique… L’idée d’un bon détour automa­tique est une idée inhu­maine. Il suf­fit d’y faire face.

Ce dont, je vais pou­voir par­ler, mais pas sans risque… Mais tout détour humain est tou­jours un détour per­son­nel, risqué et je dirais même pas­sant néces­saire­ment par l’exil et par l’errance, avant tout accès à quelques royaumes.

Et vous voyez, l’idée de trou­ver le détour automa­tique, par exem­ple, de dire : « On va trou­ver pour nos jeunes un truc qui va les arracher à l’addiction du monde virtuel et à par­tir de là, tout ira bien. Tout ira absol­u­ment bien. » C’est l’horreur. C’est quoi ? C’est : vous allez arracher les machines pour en faire des machines. Automa­tique­ment, on est responsable.

Même au milieu du par­adis, avec Dieu comme for­ma­teur, vous pou­vez com­met­tre le péché orig­inel, vous savez. Per­son­ne n’est né et tout était par­fait. D’ailleurs, cela dit en pas­sant, le ser­pent fait par­tie de la per­fec­tion du jardin. Parce que le ser­pent per­met d’éprouver la respon­s­abil­ité. Il n’y a pas un jardin où tout est là et tout va bien. Non !

Dieu veut que nous soyons des vis-à-vis et que nous soyons respon­s­ables de la vie avec lui, respon­s­ables pour la vie, pour la loi avec lui. C’est comme ça que nous avons la dig­nité de fils de Dieu.

C’est ça l’idée. Donc, il faut le ser­pent. Le ser­pent n’est pas une ombre d’amour, c’est une ombre qui a du relief. Mais il faut le serpent.

Donc oui, rien n’est automatique !

Si vous voulez un jardin sans ser­pent, c’est déjà dans le monde virtuel qui détru­it tout !

Donc, ma ques­tion ici se borne à la ques­tion de quel est mon détour ou quel monde virtuel, si j’ose dire ?

Monde virtuel numérique. Finale­ment, c’est… Et je me restreins à cela : c’est une ques­tion qui con­cerne ce qu’on appellerait les sup­ports ou des médi­ums immé­di­ats, sachant que les sup­ports ne sont pas neu­tres. « The medi­um is the mes­sage », comme le dis­ait McLuhan.

Bien sûr, il y a pour moi des imag­i­naires féconds et des pro­jec­tions stériles, mais vous voyez, mon sujet, ce n’est pas de vous dire la bonne nou­velle. C’est un sujet lié à la technique.

Et même à la lim­ite, on pour­rait prêch­er l’Évangile dans un métavers. On peut même deman­der au Chat­G­PT (généra­teur de texte par intel­li­gence arti­fi­cielle d’Ope­nAI), c’est comme ça qu’on peut l’appeler, je crois, de fab­ri­quer un « deep fake preach­er ». Deep fake preach­er, c’est l’intelligence arti­fi­cielle qui, en fonc­tion de vos his­toriques de nav­i­ga­tion, est capa­ble de trou­ver vrai­ment la forme du dis­cours qui vous fera pass­er de l’Évangile comme une let­tre à la poste. Peut-être que c’est idéal d’ailleurs si on a un prédi­ca­teur. Je ne sais pas ?

Le deep fake preach­er est pos­si­ble, mais la ques­tion, c’est qu’est-ce qu’on manque alors ?

De quoi est-ce qu’on manque ? Ma ques­tion, ce n’est pas de savoir l’Évangile ou pas l’Évangile ? La ques­tion, c’est qu’est-ce qui se passe quand ces sup­ports devi­en­nent ses sup­ports tech­nologiques numériques, etc. ? D’accord ? Est-ce que c’est neu­tre ? Je ne le pense pas.

Bien sûr, vous l’avez com­pris. Mais qu’est-ce qui manque à ce moment-là ? Qu’est-ce qu’on perd à ce moment-là ? C’est clair, ce qu’on perd ici, c’est le livre et la chair…

Le métavers est un lieu de désincarnation.. !

Mais aus­si est un lieu de dis­pari­tion de cet acte fon­da­men­tal qui est la lecture.

Je vous rap­pelle que le mot lec­ture, leg­ere, en latin, est au principe de tout ordre : une con­stel­la­tion lex­i­cale en latin. leg­ere, c’est recueil­lir, mais qui con­cerne aus­si bien l’intelligere, on va dire l’intelligence, le relegere, la relec­ture qui est la reli­gion, le delegere, l’amour. Et le con­traire du leg­ere, c’est le neglegere, la négligence.

Donc, on est dans un lieu fon­da­men­tal ici, ce qu’on appelle la lec­ture. Vous voyez, ce qui est per­du avec ces métavers, c’est la lis­i­bil­ité du monde et la vie de l’esprit comme incarnation…

Et pour con­tin­uer encore un peu, ma ques­tion est la suiv­ante : quelle est la dif­férence entre l’écrit et l’écran ?

Même si l’écrit con­tient ses périls : Pla­ton, dans le Phè­dre, a tout de suite vu le dan­ger de l’écrit. Vous savez que l’écrit, pour Pla­ton, est le pre­mier tech­nol­o­gos, avec cette idée que c’est aus­si le pre­mier, le sim­u­lacre par excel­lence, si vous voulez, l’intelligence arti­fi­cielle utilise qua­si­ment ces mots-là.

Je veux dire, son prob­lème, c’est qu’un écrit, ça par­le et per­son­ne ne par­le. Si vous posez des ques­tions, elles vont tou­jours paraître. Quand il y a une parole sans sujet de la parole, c’est déjà l’intelligence artificielle.

Et alors, il va dire… Il va mon­tr­er tous les prob­lèmes que ça pose, en par­lant à la parole vivante. Donc d’emblée, Pla­ton a vu le péril de l’écrit.

Cepen­dant, il y a quelque chose qui se joue avec l’écrit par rap­port… C’est pour ça j’ai dit que rien n’est automa­tique. Il y a un péril aus­si dans l’écrit. Mais qu’est-ce qui est per­du quand on perd l’écrit au prof­it de l’écran ?

Vous savez que l’acte de… Quand on fait de la lec­ture, finale­ment, l’acte de lire, c’est un acte très étrange. Parce qu’on part de quelque chose de visuel, de vis­i­ble, pour aller vers de l’audible. Et de cet audi­ble, on crée aus­si des images intérieures, un imag­i­naire intérieur. Cet imag­i­naire n’a rien à voir avec des images fixes.

Quand vous vous posez la ques­tion, il y a un très beau livre d’un cer­tain Peter Mendel­sund qui s’appelle « What We See When We Read », ce que nous voyons quand nous lisons, c’est un livre for­mi­da­ble parce qu’il se dit : « Quelle est, par exem­ple, l’image intérieure que nous avons quand nous lisons ? » Il mon­tre bien que ce n’est pas du tout une image pho­tographique. Ces images intérieures sont des images dynamiques, nar­ra­tives, avec quelques traits. Ce sont des images de parole, très éton­nantes ! Et qui ne cessent de se cor­riger au fil de l’histoire, parce que tout d’un coup, un nou­veau détail appa­raît, parce qu’une nou­velle indi­ca­tion est don­née. Pas trop, parce que si vous décrivez trop un per­son­nage, on n’arrive plus à se le représen­ter intérieure­ment. Vous voyez, c’est des traits comme ça, à l’intérieur d’une dynamique. Ces images nar­ra­tives sont des images très étonnantes !

Et c’est pour ça qu’on peut dire que quand vous êtes face à des images, c’est ce qui se passe avec les écrans, directe­ment con­fron­tés à des images, c’est là qu’il y a le moins d’imaginaire… !

Vous avez des images qui sont des dou­bles de ce que vous voyez dans le monde, alors que quand vous passez par l’écrit, non seule­ment vous êtes dans une imag­i­na­tion intérieure, mais vous n’êtes pas dans une représen­ta­tion, dans une repro­duc­tion du vis­i­ble, vous êtes dans un type d’image qui n’a rien à voir avec la sim­ple image visuelle. Ces images de parole, des images qui ont une dimen­sion juste­ment pro­pre­ment nar­ra­tive, dynamique. En retour, ce qui se passe, quand vous avez cette pra­tique de la lec­ture, cet imag­i­naire-là, c’est que vous allez regarder aus­si en retour les images du monde dans la pos­si­bil­ité d’une écoute !

C’est-à-dire que vous allez chercher une lis­i­bil­ité dans le monde. Vous allez avoir ten­dance à chercher du sens.

Vous con­nais­sez le texte de Paul Claudel “L’œil écoute”. Mais puisque l’œil écoute quand il lit, lorsqu’il va regarder, il va aus­si se met­tre à l’écoute. Et il va avoir ten­dance à con­ver­tir les images en paroles, ou plutôt les visuels et les sig­naux du monde en signes. Donc, on va chercher la sig­ni­fi­ca­tion. Et la ques­tion du sens s’ouvre à par­tir de là. Sinon, la ques­tion du sens pour­rait ne jamais s’ouvrir en nous.

Le leg­ere, par ailleurs, la lec­ture sup­pose, comme je vous l’ai dit, un recueillement.

C’est le con­traire de Win­dows où vous avez plusieurs fenêtres actives, par déf­i­ni­tion. C’est fait pour ça. À tel point que même les jour­naux aujourd’hui se con­stituent comme cela. Vous regardez un jour­nal, le jour­nal télévisé, c’est évi­dent, vous avez deux, qua­tre, cinq infor­ma­tions en même temps. C’est très sur­prenant. Mais même un jour­nal écrit main­tenant, vous avez un titre, un cha­peau, un encart, une pub­lic­ité, des trucs comme ça. Atten­tion, on a peur de l’ennui : on a telle­ment cette atten­tion frag­men­tée, les textes sont de plus en plus courts…

Donc, il est évi­dent, et je vous aurai par­lé à pro­pos de ma fleur qui risque de ne pas porter son fruit, mais cette atten­tion com­plète­ment morcelée, la perte de la capac­ité à reli­er, à lire, à relire. Et ça, c’est quelque chose qui est étonnant.

L’expérience de la lec­ture et de la lec­ture alphabé­tique, c’est-à-dire vrai­ment l’expérience, non pas du hiéro­glyphe, mais du signe con­ven­tion­nel. Cette expéri­ence est une expéri­ence d’attention et de cul­ture de l’attention. Ensuite, le pro­pre du livre, c’est de nous faire entr­er dans un ordre, où la phrase de manière générale, dans un ordre syn­tax­ique, n’a rien à voir avec l’ordre paratax­ique de l’image.

L’image vous fait voir plusieurs choses simul­tané­ment et les choses sont posées les unes à côté des autres. Quand vous devez par­ler de ce que vous avez vu, vous devez met­tre les choses en ordre. Qu’est-ce qui va venir ? Vous faites entr­er de l’espace dans du temps. Et vous allez vous dire : « Qu’est-ce qui vient avant ? Qu’est-ce qui vient après ». Vous allez tem­po­ralis­er ce qui est spa­tial. Et le tem­po­ral­isant, vous allez aus­si vous pos­er la ques­tion de la causal­ité. Qu’est-ce qui est à l’origine de ce qu’on voit après ? Vous voyez, la syn­taxe va impli­quer une rela­tion d’ordre qui, d’une cer­taine façon, nous pousse à chercher dans le monde des causalités.

Aujourd’hui, dans un monde d’informations paratax­iques, avec des mots clés, avec des noti­fi­ca­tions, vous avez des gens qui savent beau­coup de choses de manière très morcelée. Mais quand il s’agit de penser vrai­ment ces choses, vous voyez une sorte de vide total.

Il suf­fit de voir les jour­naux télévisés pour voir à quel point nous sommes exposés à ceci. Enfin, for­cé­ment, la lec­ture nous fait entr­er, comme je l’ai dit au départ, dans le nar­ratif, dans le racon­table. Vous voyez, quand vous lisez des livres, non seule­ment vous vous dites : « Mais notre vie est décousue. » Notre vie est tou­jours décousue. Mais vous vous posez la ques­tion de savoir qu’est-ce qui fait les fils rouges de votre vie ? Quel est com­mence­ment, la fin, le milieu ? Quels sont les événe­ments décisifs ?

La pra­tique de la nar­ra­tion est le fait que, par exem­ple, aus­si bien les peu­ples anciens non sémites, mais aus­si que le juif ou le chré­tien ne peut se con­naître que dans le miroir d’un réc­it, mais le réc­it nous pousse à faire en sorte que notre vie devi­enne une his­toire. Ce n’est pas don­né tout de suite que ce soit une histoire.

Vous pou­vez devenir un pongidé. Vous savez, un pongidé, ce n’est pas un pri­mate, parce que l’homme est inclus dans le pri­mate. Le pongidé, c’est la par­tie non humaine des pri­mates. Le pongidé n’a pas le souci que sa vie devi­enne une his­toire. Une his­toire d’un orang-out­an… Mais c’est aus­si parce que très peu de romans ont autant… Il n’y a pas de réc­it dans lequel il va se retrou­ver ou se ren­con­tr­er. Il n’y a pas de miroir du réc­it. Vous voyez, ce miroir du réc­it fait que tout d’un coup, quand j’agis, je me dis : « Mais est-ce que ce que je fais est racontable ? »

Vous savez qu’une de mes thès­es fon­da­men­tales, c’est que le fond de la moral­ité humaine vient de cette ques­tion : Est-ce que ce que je fais, je peux le racon­ter et même le chanter à autrui ?

Vous voyez, quand on dit : « Est-ce qu’une action est louable ? » En fait, louer, c’est ça. C’est la ramen­er à un dis­cours qui est une célébra­tion. « Voilà ce que j’ai fait. » Est-ce que vous pou­vez dire : « Voilà ce que j’ai fait » ? Vous com­prenez ? Au fond, la moral­ité dépend de la relec­ture du passé et de sa resti­tu­tion dans un réc­it. C’est une thèse que j’ai essayé de dévelop­per dans mon livre « À moi la gloire ».

Mais pourquoi est-ce qu’on attend dans Yomim Noraïm, les jours ter­ri­bles entre Roch Hachana et Yom Kip­pour, pourquoi est-ce que les juifs se dis­ent… On dit Bonne année, Chana Tova, et on répond Tikat­ev : « Que tu sois inscrit ». Que tu sois inscrit dans le Livre de Vie ! Cette idée du Livre de Vie ça veut dire que ta vie a été suff­isam­ment bonne, tra­ver­sée par une rédemp­tion. Bien sûr tu as été pécheur, tu as été repris, etc. Mais c’est racon­table comme une bonne his­toire. C’est ça qui est derrière.

Ce que je vous ai dit là mon­tre bien que le prob­lème n’est pas qu’il y ait des mon­des virtuels, mais que ces mon­des virtuels soient loin, et de la chair, et du Livre. Et que ces mon­des ne soient plus ceux, juste­ment, du « leg­ere », mais d’une sorte de frag­men­ta­tion et de surex­ci­ta­tion, frag­men­ta­tion d’intention, surex­ci­ta­tion de l’affectivité et entre­tien, finale­ment, d’un rap­port pul­sion­nel au monde.

J’appuie sur des bou­tons, j’ai des résul­tats, je deviens de plus en plus pulsionnel.

Et donc je sors de toute nar­ra­tiv­ité, y com­pris dans des lieux comme la pornogra­phie, par exem­ple. C’est très intéres­sant, le fait que la pornogra­phie ait autre­fois sup­posé des réc­its. C’est une remar­que que fait Umber­to Eco. Il dit : « Com­ment est-ce qu’on recon­naît un film pornographique ? C’est le film où il y a le plus de temps morts. » C’est éton­nant comme parole. Il dit : « Pour que Rober­to puisse vio­l­er Rober­ta et que ça soit vrai­ment une trans­gres­sion, il faut d’abord nous mon­tr­er l’ordre du monde tel qu’il est, où le viol peut appa­raître comme une trans­gres­sion. » Donc, il faut que Rober­to prenne sa voiture, s’arrête au feu rouge, etc., qu’on voie Rober­ta dans ses activ­ités de robe secré­taire qui est un petit peu pudi­bonde. À ce moment-là, quand Rober­to arrive auprès de Rober­ta, là, il y a une trans­gres­sion. Et la trans­gres­sion pré­sup­pose tou­jours la loi. Mais alors, ça veut dire que c’est des films, où comme on voudrait aller vite à la trans­gres­sion, on est obligé de pass­er par la loi, mais il y a des temps morts, plus longs que dans les autres films. C’est la thèse d’Umberto Eco, qui est assez drôle. Mais au fond, là où il se trompe, c’est que ça n’existe plus. Ce qu’on appelle le porno gonzo, je ne sais pas si vous con­nais­sez cette expres­sion, c’est un porno où vous allez directe­ment sur l’acte. Par­fois avec des mecs qui se fil­ment eux-mêmes avec des caméras sub­jec­tives. Il n’y a plus de dia­logue, il n’y a plus de scé­nario, il n’y a même plus de décor. C’est le monde dans lequel nous sommes. C’est-à-dire la dis­pari­tion de toute nar­ra­tion et la recherche d’un style de pornogra­phie par rap­port à une descrip­tion som­maire de cer­tains types d’actes qu’on cherche, avec cer­tains types de sujets dans l’acte. Il y a beau­coup de lin­guistes qui ont tra­vail­lé sur la manière de réper­to­ri­er les scènes du X gonzo sur les sites pour aller vite, parce qu’il faut mal­gré tout faire une recherche cog­ni­tive pour y arriv­er. Donc qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on met le verbe avant le sujet ? C’est très intéres­sant, les com­plé­ments d’objets, etc. C’est des études vrai­ment pas­sion­nantes parce que vous voyez ce qu’il y a derrière.

Dans la destruc­tion lin­guis­tique et la perte de toute nar­ra­tiv­ité, pour entr­er dans un rap­port au lan­gage qui est un rap­port où le lan­gage n’est plus fait de signes ou de sig­nifi­ants, mais est fait de sig­naux, qui doivent aboutir à une effi­cac­ité, à des comportements.

Pour con­clure, bien sûr, ce que je vous racon­te pour­rait ressem­bler un peu à la con­clu­sion de Fahren­heit 451 : retrou­ver les livres, la com­mu­nauté autour du livre.

Et je ne vous ai rien dit sur ce dont j’ai sou­vent par­lé par ailleurs, c’est retrou­ver la chair, c’est-à-dire le sexe d’une part et la main. Je fais l’éloge du sexe à fond, de bais­er à fond. Quand on baise à fond, c’est quoi ? C’est de devenir grand-père. Vous avez été vrai­ment au bout de la sex­u­al­ité. Tant que vous n’êtes pas là. Il ne s’agit pas sim­ple­ment d’avoir été vers une femme, d’avoir engen­dré un enfant, mais que vous ayez don­né la capac­ité de don­ner à votre enfant. Donc quand vous mariez cet enfant et que lui-même en tant que… Là, vous êtes grand-père, et là, vous avez été dans la per­fec­tion du sexe.

Ça vous fait ren­tr­er dans quoi ? Dans l’épaisseur du temps. Votre vie est plus dense. Sinon, vous allez dans le gonzo. Vous pou­vez aller dans le gonzo. Il y a le mot zoo, d’ailleurs, dans le mot gonzo. Rien ne vous empêche. Mais vous pou­vez entr­er dans l’épaisseur du temps. C’est la sex­u­al­ité qui va jusqu’à la grande pater­nité ou la grande maternité.

De la même façon, la main dont je par­le, c’est la main de l’artisan, la main du paysan. Une main à char­rue, une main à out­il, à instru­ment de musique, qui nous fait revenir à une forme de réal­isme dans le rap­port au monde : le réal­isme, ce n’est pas une option idéologique, c’est voir la con­sis­tance des matéri­aux, con­naître la résis­tance de la matière, le labeur. C’est cette patience qui est per­due dans le rap­port au monde.

Bien sûr, au-delà du livre, il s’agit de retrou­ver des pra­tiques. Des pra­tiques, ce qu’Albert Borgmann appelle des « pra­tiques focales », c’est-à-dire des pra­tiques avec des savoir-faire, qui con­stituent tout d’un coup des foy­ers où les gens vien­nent autour, où ils veu­lent appren­dre, ils veu­lent voir, ils veu­lent enten­dre. Ça fait des com­mu­nautés incarnées.

Ça, j’en ai sou­vent par­lé à d’autres repris­es, je ne vais pas revenir là-dessus. Ce que je veux dire, c’est qu’on ne se défend con­tre le for­matage tech­nologique que par la for­ma­tion tech­nique. Par le fait qu’on retrou­ve des pra­tiques avec des choses. Qu’on ne soit pas sim­ple­ment dans la con­som­ma­tion de marchan­dis­es. Qu’on retrou­ve des savoir-faire. On ne résiste à la con­som­ma­tion dévas­ta­trice que par des pra­tiques communautaires.

Où trou­ver le souf­fle pour tout ça ? C’est ce dont je n’ai pas par­lé. Parce que le dés­espoir de notre époque est grand et les métavers se con­stru­isent sur ce désespoir.

Je n’ai pas moi-même à le décrypter, cela est dit ouverte­ment, pour ne pas dire presque cynique­ment, par les développeurs de ces métavers. J’ai une cita­tion de Marc Andreessen, fon­da­teur de Netscape et mem­bre du con­seil d’administration de Meta, ex Face­book. Voilà ce qu’il écrit, je voulais finir avec cette phrase, qui est quand même vrai­ment stupéfiante :

« La réal­ité a eu 5 000 ans pour s’améliorer et il est clair qu’elle fait cru­elle­ment défaut à la plu­part des gens. »

C’est formidable…Si on com­prend cette phrase ?

« Je ne pense pas que nous devions atten­dre 5 000 ans de plus pour voir si elle finit par combler son retard. »

Là, c’est la réal­ité qui est en retard par rap­port à cer­tains désirs des gens. « Nous devri­ons con­stru­ire, et nous le faisons, des mon­des en ligne qui ren­dent la vie, le tra­vail et l’amour mer­veilleux pour tout le monde. » Ce qui est mer­veilleux, c’est la vie en ligne, le tra­vail en ligne, l’amour en ligne. Vous avez com­pris ? Qu’est-ce qu’il y a derrière ?

Cet homme nous présente sous la forme du « Yes We Can », de l’enthousiasme, le dés­espoir le plus pro­fond. Dés­espoir his­torique total. 5 000 ans et nous n’y sommes pas arrivés. À quoi bon ? Vous com­prenez ? C’est là où nous en sommes.

C’est pour cela que la ques­tion reste de savoir où trou­ver l’élan au milieu de l’extinction annoncée.

Là, vous voyez, c’est la ques­tion, dont je vous en ai un peu par­lé au début, de l’espérance théolo­gale. Mais ce n’est pas le sujet de cette con­férence, même si c’est la plus grande urgence. Merci !

—–
On a prévu un temps de ques­tions. Je ne sais pas si vous avez des ques­tions à pos­er. Si quelqu’un veut inter­venir. Vous pou­vez lever la main, pro­jeter votre voix et par­ler sans micro, ce qui est encore mieux que tout ce que j’ai fait jusqu’ici.

- Oui ? Quels livres lisez-vous actuellement ?

Très bonne remar­que. Je lis tous les jours la Bible, ça, c’est sûr. Pre­mière chose. Ma vie, ma pen­sée, demeurent de plus en plus dans les écri­t­ures. Mais pour vous dire, le roman… Je viens de l’enseigner, donc je l’ai relu récem­ment, le Syn­drome de Thanatos de Walk­er Per­cy, le grand romanci­er améri­cain, hélas com­plète­ment mécon­nu en Europe, mais très recon­nu aux États-Unis, grand romanci­er catholique. Donc Thanatos Syn­drome de Walk­er Per­cy. Et en ce moment, je suis en train de lire le pre­mier roman his­torique français parce que j’ai décou­vert récem­ment Wal­ter Scott. J’ai trou­vé ça génial. Je savais que dans les Illu­sions per­dues, l’horizon du héros, c’était de faire des romans comme Wal­ter Scott. Mais je me suis ren­du compte qu’on ne lisait plus Wal­ter Scott. Donc, j’ai lu Les Puri­tains d’Écosse, qui est un grand roman sur le fon­da­men­tal­isme, le plus extra­or­di­naire de la lit­téra­ture. Mais je me suis intéressé au roman his­torique. J’ai lu Dumas, etc. Mais je lis le roman his­torique d’Alfred de Vigny. J’ai une pas­sion pour la poésie d’Alfred de Vigny, Les Des­tinées, etc. Vous pou­vez lire, par exem­ple, La colère de Sam­son, c’est un très grand poème qui va vous éclair­er sur la ques­tion de la guerre des sex­es. À la fin, il y aura Sodome d’un côté et Gom­or­rhe de l’autre, c’est très drôle. Mais il a écrit un roman his­torique qui s’intitule Cinq-Mars, sur la ten­ta­tive de révolte le 5 mars, de tout un groupe de vieilles aris­to­craties féo­dales con­tre le pou­voir de plus en plus cen­tral­isa­teur, sous Louis XIII, organ­isé par Riche­lieu. C’est un très beau roman. Je lis beau­coup de poésie. J’ai lu beau­coup de philoso­phie et de théolo­gie, mais je dois avouer que j’en lis beau­coup moins aujourd’hui. Aujourd’hui, je lis prin­ci­pale­ment la Bible. D’abord la Bible, ensuite des romans et de la poésie. Il y a la nour­ri­t­ure pour le corps et la nour­ri­t­ure pour l’esprit.

- Donc vous, vous êtes plus quoi ? Nour­ri­t­ure pour l’esprit ?

Non, pas du tout. En ce moment, c’est le Carême, donc la ques­tion de la nour­ri­t­ure pour le corps se pose aus­si pour moi. Mes amis qui me con­nais­sent savent que j’ai per­du au moins 15 kilos ces derniers temps. En fait, vous me posez des ques­tions sur moi-même. Je veux bien, c’est juste que c’est risqué. Je ne sais pas si c’est parce qu’on est dans un lieu plutôt évangélique. Il faut faire des témoignages ? Témoignages de vie. Non, parce que, par exem­ple, j’étais face à une sorte de dou­ble impasse. D’une part, je deve­nais un père de famille bedonnant et je ne savais pas quoi faire comme activ­ité physique. Et d’autre part, je voy­ais mon fils, devenant ado­les­cent, me par­ler de moins en moins et je me dis­ais : « Quelle activ­ité je vais faire avec lui ? » Et donc, après 30 ans, pour dire que c’est pos­si­ble, j’ai repris le karaté, avec beau­coup de sérieux. J’ai un cours d’ailleurs à midi. For­mi­da­ble. Donc, oui, je fais de la musique, je fais des instru­ments de musique, je joue de la gui­tare et de l’accordéon. Il y a des pra­tiques du corps, à mon avis, des pra­tiques d’outils et d’instruments qui sont absol­u­ment nécessaires.

D’ailleurs, parce que je voudrais vous dire ça, pour faire juste­ment de la spir­i­tu­al­ité, mais je suis oblat béné­dictin, comme Walk­er Per­cy, d’ailleurs. La grande tra­di­tion monas­tique, que ce soit le monachisme du désert ou que ce soit la tra­di­tion béné­dic­tine, c’est le fait que le moine tra­vaille de ses mains. Et en fait, ce tra­vail manuel cor­re­spond à la pluridis­ci­pline spir­ituelle. Non seule­ment parce que ça vient don­ner le sens de l’ordre du monde, une réal­ité qu’on ne va pas pavan­er dans tous les sens, qui a sa con­sis­tance pro­pre, mais en plus parce que ça nous empêche de tomber dans une sorte de spir­i­tu­al­isme, ça nous décen­tre. Vous savez, il y a cette phrase de Saint-Jérôme qui dit : « Que le démon te trou­ve tou­jours occupé. » Parce que là où le démon vient nous atta­quer le plus facile­ment, vous pou­vez ne pas croire au démon, c’est bien que vous êtes sous la plus grande ruse. Comme dit Baude­laire : « La plus grande ruse du dia­ble est de faire croire qu’il n’existe pas. » Mais surtout, le désœu­vre­ment, le retour sur soi…

Ouh ! ce que j’ai fait ! D’ailleurs, tout le psy­chol­o­gisme, on tient à envoy­er tou­jours, comme ça, hyper réflexif : « Qu’est-ce qui m’est arrivé ? » « Qu’est-ce que j’ai fait ? » « Les gens ont été méchants avec moi. » Ce qui crée, ce qu’on appelle la snowflake gen­er­a­tion la généra­tion flo­con de neige : dès qu’on vous touche, vous fondez, etc. C’est pas pos­si­ble qu’il ait heurté ma sen­si­bil­ité, etc.

Le tra­vail manuel nous décen­tre, nous tourne vers l’œuvre à faire, nous rend, d’une cer­taine façon, super­fi­ciels. Cette super­fi­cial­ité est béné­fique. Vous savez, pour pass­er d’une rive à l’autre, il faut rester à la sur­face de l’eau. Vous oubliez tous les mon­stres qui sont sous vos jambes. Ça, c’est fon­da­men­tal. Donc, il y a une hygiène spir­ituelle du tra­vail manuel, qui à mon avis, est très impor­tante. C’est pour ça que j’ai essayé de mon­tr­er, quand j’ai fait des travaux sur l’éducation, je leur dis­ais : « Vous savez, l’école… Pourquoi est-ce que les grandes vacances étaient en été ? » Il y a une rai­son. Oui, pour aller aux champs. Ça veut dire que l’école s’est insérée dans un monde agri­cole et qu’il y avait un lien entre le tra­vail de la terre et les human­ités. Or, aujourd’hui, c’est fini. Le con­texte, c’est le con­texte numérique, le con­texte « dig­i­tal ». « Dig­i­tal », enten­dez, vous ne savez plus rien faire avec vos doigts. Zéro dig­i­tal. Et donc ce qui se passe, c’est que dans ce con­texte, vous perdez tout réal­isme et l’école n’est plus capa­ble d’accomplir sa fonc­tion parce qu’elle a oublié qu’elle était dans cet écrin agri­cole, arti­sanal. Ça sig­ni­fie que les écoles aujourd’hui doivent intro­duire à l’intérieur de leurs murs ce qui se fai­sait à l’extérieur. Par exem­ple, à Phil­an­thro­pos. Pour l’Institut Phil­an­thro­pos, on accueille des jeunes une année pour leur don­ner une for­ma­tion en philoso­phie, en théolo­gie, dans les sci­ences humaines. C’est une for­ma­tion sur de nom­breux aspects…

Mais ! Il y a le théâtre, comme pra­tique oblig­a­toire, physique d’incarnation de la parole. Mais… il y a le tra­vail du jardin et le tra­vail du bois ! Ils y passent tous : après tout, Saint Joseph et Jésus étaient char­p­en­tiers. Ça doit vouloir vous dire quelque chose. Ils passent tous par ça pour rec­ti­fi­er leur intel­li­gence, pour retrou­ver le réal­isme. Donc, ce qui se fai­sait ordi­naire­ment en dehors de l’école, on doit, en rai­son de l’environnement numérique, de l’informité de l’information, de l’information critère fort, retrou­ver la con­sis­tance des choses par le tra­vail de la terre, par le tra­vail des matéri­aux, par l’agriculture et l’artisanat.

Je pense que les futures écoles d’élite qui auront les per­son­nes les plus avancées intel­lectuelle­ment seront des écoles qui fer­ont pass­er leurs étu­di­ants par le tra­vail manuel. Pour les recen­tr­er, pour les recon­cen­tr­er, pour leur per­me­t­tre de retrou­ver une réal­ité ordon­née. Albert Borgmann dis­tingue « com­mand­ing real­i­ty », la réal­ité qui a un ordre en elle-même, et ça, c’est seules les pra­tiques manuelles, il m’a fait décou­vrir comme tel. Ce que va faire le numérique, ce que va faire le dig­i­tal, qui est la tech­nolo­gie, ça sera une « dis­pos­able real­i­ty », avec ce dou­ble sens dis­pos­able, c’est-à-dire mise à dis­po­si­tion et en même temps, je par­le. Elle n’a plus d’ordre d’elle-même, j’en fais ce que je veux. Cette matière informe des datas. C’est pour ça qu’il y a un enjeu fon­da­men­tal à… Je n’en ai pas trop par­lé dans cette con­férence. Cer­tains m’ont enten­du par­ler à de nom­breuses repris­es de ça. Moi, ce qui m’intéressait ici, c’était la ques­tion du monde virtuel et du monde réel et le fait qu’on détoure tou­jours par un monde qui est d’abord un monde de la parole et du livre avant d’être seule­ment numérique. C’est ça le problème.

Sans par­ler du zap­ping, quand on zappe, on peut facile­ment com­mencer à arrêter à regarder des petites choses sur son petit écran. L’artisan, lui, dans son tra­vail avec ses mains, il ne peut pas, pour avoir un bon résul­tat, tricher.

Alors que dans le numérique, on peut trich­er. On peut trich­er dans le numérique, encore que… On peut déformer une image. Si on est du côté du hard­ware, quand on revient, parce qu’il y a des formes de… Si vous êtes un élec­tron­i­cien, si vous êtes… Il y a une réal­ité quand on est face à ça, on revient vers l’artisanat. On ne peut pas trich­er. – C’est vrai qu’on peut… – Le résul­tat. Oui, mais j’irais plus loin. Je dirais qu’on peut moins trich­er dans l’artisanat que dans la vie intel­lectuelle aus­si. C’est fondamental.

Les impos­teurs dans la vie intel­lectuelle, dans le monde lit­téraire, font florès. Alors que si vous fab­riquez une chaise, on peut s’asseoir con­fort­able­ment dessus ou pas. Elle est ban­cale… Et fab­ri­quer un couteau, est-ce qu’il coupe ou pas ?

De la lit­téra­ture qui fait honte aux let­tres, ça, per­son­ne ne le voit.

Sans compter les impos­tures spir­ituelles qui sont encore plus fréquentes et plus grandes.

- Qu’est-ce qu’on pour­rait faire comme con­seil à tous ces gens qui sont nés déjà avec ces réal­ités dig­i­tales afin qu’ils tombent amoureux de l’aventure de ce monde. Qu’est-ce que vous pour­riez don­ner comme con­seil aux papas, aux profs ?

D’envoyer leurs enfants à Phil­an­thro­pos. C’est à Fri­bourg, c’est vrai­ment pas très loin, à une heure et demie d’ici. J’étais en con­tact avec un ami, un père, juste­ment, ce matin, qui m’a appelé en me dis­ant : « Gros con­flit avec mon fils, je lui ai pris son télé­phone, il est devenu fou, il m’a men­acé. Ça fait une semaine que j’ai gardé le télé­phone. On a atteint un point de non-retour. » Et oui, donc, il y a cette addic­tion et quand on essaye, de manière frontale, d’arracher les choses au nom des principes et au nom de tout ce qu’on a vu d’ailleurs par­fois dans des revues de psy­cholo­gie, parce que vous voyez le recours à la tech­nique encore. Tech­nique thérapeu­tique de sor­tie d’addiction, c’est ter­ri­ble. « Mon fils m’a traité de tous les noms. C’est un scan­dale, qu’est-ce que je vais faire ? » Je lui ai dit : « D’abord, rends-lui son télé­phone. Là, tu as quand même une impasse. Même, tu lui dis : “C’est une sit­u­a­tion de force, je ne peux pas rester dans quelque chose d’irraisonnable. Je m’incline devant cette chose-là et je te rends ton téléphone. ” »

C’est le point de départ, parce que le but, c’est la final­ité de la loi, qui est la rela­tion. Après, je me dis : « Parce que c’est une famille divor­cée, c’est com­pliqué. » Et je lui ai dit : « Depuis quand tu as fait quelque chose avec ton fils ? » Ça me fait penser que je n’ai pas fini mon his­toire. Ça va me per­me­t­tre de faire le lien. Il me dit : « Je suis dans la ges­tion quo­ti­di­enne, j’ai trop de tra­vail ». Oui, les enfants sont des mil­len­ni­als, ils sont accrochés aux écrans parce que c’est devenu la baby-sit­ter de base, et qu’on est dans un monde d’exploitation du tra­vail, qui fait que les par­ents ne passent plus de temps avec leurs enfants. Donc, la ques­tion, c’est qu’est-ce qu’on fait avec eux ? Et pas qu’est-ce qu’on fait avec eux pour les dés­in­tox­i­quer, qu’est-ce qu’on fait avec eux, on va faire le « Cycloshow », on va appren­dre la sex­u­al­ité, atten­tion à la pornogra­phie, atten­tion à ceci… Non, qu’est-ce qu’on fait avec eux pour être avec eux ? Qu’est-ce qu’on fait ensem­ble à la mai­son ? C’est ça la chose de base.

Et retrou­ver les savoir-faire qui cor­re­spon­dent à des savoir-vivre en famille. Retrou­ver le sens de la table, retrou­ver le sens de ce qu’est — ce qu’on fait à table. Est-ce qu’on sait encore chanter ensem­ble à table avec des chants tra­di­tion­nels ? Est-ce qu’on sait racon­ter des his­toires à table ? Est-ce qu’on pré­pare la table ? Est-ce qu’on pré­pare le repas ensem­ble ? Vous voyez, il y a des choses vrai­ment régle­men­taires qu’on a perdues.

C’est pour dire à quel point on est dans une sit­u­a­tion de régres­sion dans le savoir-faire ter­ri­ble. C’est ce que dit Michel Houelle­becq : « L’Homme de Néan­der­tal avait des com­pé­tences tech­niques bien supérieures aux miennes. » On en est là !

Donc, nous, on recrée un cadre com­mu­nau­taire, on recrée un cadre où on fait des choses ensem­ble. On se dit : « Qu’est-ce que je fai­sais ? J’étais en train de le don­ner. Je ne trou­vais pas de com­mu­ni­ca­tion par­fois avec mon enfant qui devient un ado­les­cent ingrat. » Et on fait du karaté ensem­ble. Ensem­ble. On se tape sur la fig­ure. Alors qu’en allant au cours de karaté, il ne me par­le pas, quand on revient, et qu’il m’a bien tapé sur la fig­ure, et moi d’ailleurs sur la sienne, et là, tout d’un coup, libéra­tion de la parole.

Je suis désolé, je donne des con­seils de bon sens, mais il faut arriv­er à ces choses-là, parce que c’est des choses sim­ples. Vous savez, on ne manque pas de moyens et on ne manque pas de morale. Ce dont on manque, c’est de mœurs, c’est-à-dire que l’on con­tin­ue à vivre les uns avec les autres.

C’est sim­ple.

- Oui ? J’ai juste une ques­tion, pour revenir sur la lec­ture dont vous avez beau­coup par­lé. Je voulais savoir si vous faites une dif­férence entre la lec­ture d’un réc­it dans le livre, l’objet physique, et la lec­ture d’un réc­it à l’écran ou d’un texte sci­en­tifique ? Je suis enseignant à l’université.

Je suis con­va­in­cu que la lec­ture dans le livre, je la priv­ilégie, mais je pense que les étu­di­ants, de nos jours, ne lisent plus les livres physiques. Ce qui est intéres­sant, c’est qu’ils ne voient même plus des nar­ra­tions à la télévi­sion. Quand je vous ai par­lé de cette jeune fille qui était sur Tik­Tok, qui n’arrive même plus à ren­tr­er dans une série, c’est ça ce que je veux mon­tr­er. Bien sûr qu’il y a les deux.

Pla­ton cri­tique déjà l’écrit par rap­port à la parole vivante du maître. Après, on peut s’éloigner de l’écrit, parce que je rap­pelle que, je ne fais pas l’éloge, je ne suis pas dans la reli­gion du livre. C’est sûre­ment dan­gereux, la reli­gion du livre. C’est d’ailleurs autre chose, la parole vivante. Mal­gré tout, il y a le livre, il y a effec­tive­ment le ciné­ma, les séries TV, des réc­its d’ailleurs assez longs. C’est intéres­sant. Un aspect qui peut être plus intéres­sant que le film dans la série.

Le prob­lème, c’est que ça suit des recettes, des for­matages, des algo­rithmes qui dis­ent qu’il faut sat­is­faire tel type de pop­u­la­tion, telle autre cible de pop­u­la­tion… C’est ça le prob­lème, ce n’est pas le fait qu’on est dans de longues his­toires. C’est vrai qu’il y a une narrativité.

Moi qui ai fait du théâtre, je pra­tique beau­coup de spec­ta­cles vivants, donc il y a une incar­na­tion, la prox­im­ité, mais on est dans quelque chose qui se dévoile, qui n’est pas le livre. Même si au théâtre, c’est la parole qui sus­cite l’imaginaire. Ce n’est pas comme au ciné­ma. La parole est à l’intérieur de l’image, dans le ciné­ma, alors qu’au théâtre, c’est la parole qui pro­duit l’image. Pour dire qu’il y a quand même une dis­tinc­tion. Il y a une dif­férence notoire, comme je vous l’ai dit. Quand vous regardez une his­toire de ciné­ma, bien sûr qu’il y a une nar­ra­tiv­ité, c’est encore quelque chose, mais il n’y a plus cet exer­ci­ce de l’imaginaire actif.

Il n’y a plus cet effort pour se met­tre à l’écoute, par exem­ple, d’être capa­ble de ver­balis­er son expéri­ence. Vous allez repar­tir de cette ren­con­tre, com­ment est-ce que vous allez pou­voir la racon­ter à l’écran ?

Moi, je vois qu’il y a une déperdi­tion de la capac­ité à racon­ter ce qu’on a vécu. Donc ça, c’est une perte qui est liée… À la lim­ite, on dit : « Oui, j’aurais dû la filmer. J’aurais dû enreg­istr­er. » C’est ter­ri­ble de dire ça : c’est le signe d’une carence rad­i­cale de la capac­ité à ver­balis­er ce qu’on a vécu, et à le racon­ter à un autre.

Quant à savoir si une lec­ture sci­en­tifique est supérieure à une lec­ture… Ou philosophique, d’ailleurs. Con­ceptuelle, à une nar­ra­tion, à racon­ter des his­toires. Je pense qu’il ne faut jamais trop les sépar­er, ça, c’est sûr, mais j’affirmerai, sans résis­tance même, la supéri­or­ité du réc­it sur le raison­nement, sur le con­cept. Il faut absol­u­ment le con­cept pour ne pas tomber dans la folie. Il faut la rai­son. Mais mal­gré tout, pourquoi est-ce que la révéla­tion se fait à tra­vers les his­toires d’Évangile ? Ce n’est pas un code de loi. Et même la Loi de Dieu nous est tou­jours don­née à l’intérieur des réc­its. Parce que quand Dieu dit : « Je suis l’Éternel, ton Dieu, qui t’ai sor­ti d’Égypte ! » C’est à l’intérieur de ce réc­it à l’intérieur d’une his­toire, que les com­man­de­ments eux-mêmes sont don­nés. Si on retire, on sépare les com­man­de­ments de cette nar­ra­tion, on arrive à quelque chose qui est com­plète­ment abstrait et intenable.

La Bible ne cesse d’ailleurs de présen­ter des sit­u­a­tions où Dieu édicte une Loi et immé­di­ate­ment, elle est trans­gressée. Ça ne mar­chait pas. Ça ne mar­chait pas. Pourquoi ?

Et c’est très intéres­sant. À la fin du livre des Nom­bres, je crois, avec les filles de Celofe­had qui arrivent et qui dis­ent « Vous avez édic­té une loi sur la trans­mis­sion de la pro­priété, de père en fils. » Nous on est les fils de Celofe­had, il n’a pas eu de fils. Est-ce que ça va pass­er à une autre maison­née, ce qu’on a ? » Et Moïse dit « c’est la loi de Dieu, il ne faut pas… » Et alors, Dieu par­le à Moïse et lui dit « Non, non, écoute ces femmes-là. » Alors que c’est la fine pointe d’un livre de la Torah. Il dit, écoute les femmes, c’est déjà un truc étonnant ?

La deux­ième chose, c’est de dire que tu as voulu défendre la Loi comme ce truc figé. Mais non, tu dois aller enten­dre le réc­it, l’aventure de l’existence. Com­ment les choses se sont déployées, se sont déroulées.

S’il n’y a pas ça, ça devient légal­iste. Donc tu tues la vie !

Peut-être une dernière question.

- J’ai noté que vous avez été très taquin vis-à-vis des psy­cho­logues dans votre présen­ta­tion ce soir. Vous êtes psy­cho­logue ? Non, je ne le suis pas. Vous n’y croyez pas du tout ? On voit qu’il y a énor­mé­ment de psy­cho­logues sur la place, de métiers de coach et j’ai énor­mé­ment de copains qui sont coachs. Vous n’y croyez pas du tout à ces aides ?

Ce n’est pas le lieu d’une croy­ance, c’est le lieu d’une sci­ence. En tout cas, j’y crois ou j’y crois pas, c’est qu’il y a une dimen­sion en nous même qui peut ressor­tir grâce à la psy­cholo­gie, au tra­vail d’une thérapie psy­chologique. Je dirais plusieurs choses : d’une part, il y a finale­ment, comme vous l’avez dit, beau­coup de coachs et donc des vrais psy­cho­logues qui ren­trent vrai­ment dans la ques­tion de la psy­ché, c’est de plus en plus rare.

Même la psy­cholo­gie aujourd’hui est envahie par le com­porte­men­tal­isme, la perte de la nar­ra­tiv­ité est la ques­tion de quels sont les trucs que tu dois trou­ver pour t’insérer sociale­ment et vivre à peu près cor­recte­ment. Par­fois, dans cer­taines urgences, c’est ce qu’il faut faire. Par exem­ple, la psy­ch­analyse a été com­plète­ment refoulée parce qu’il y a eu des choses débiles dedans, je le recon­nais, mais en même temps, la psy­ch­analyse, elle était vrai­ment dans la ques­tion de la narrativité.

Il y a autre chose qui me gêne dans la psy­cholo­gie. Soit c’est une psy­cholo­gie hyper clichée, qui est tournée vers la ques­tion de l’efficacité sociale et de la per­for­mance, donc elle est technocratique.

Ou alors c’est une psy­cholo­gie qui est tournée vers l’archéologie du sujet, comme l’a mon­tré Paul Ricœur, pour par­ler d’un grand philosophe protes­tant. L’archéologie du sujet : qu’est-ce que j’ai vécu ? Qu’est-ce qui m’a fait du mal ?

Alors qu’en fait, la vie, elle est d’abord téléologique, c’est-à-dire : quelle est la final­ité, quel est le but ? Vers quoi je tends ?

Si je sais vers quoi je tends, toutes les blessures, même si j’ai une blessure ouverte sur le côté et qui m’en coule du sang et même de l’eau, après tout. Voilà. Je sais vers quoi je tends, mais je sais quelle est la résur­rec­tion. Sou­vent, ce qui me gêne, c’est le fait de fouiller sans cesse et d’être juste­ment dans cette sorte de reli­gion vic­ti­maire qui est tout à fait celle de notre époque.

J’ai des cri­tiques à faire à l’égard de la psy­cholo­gie, de tous ces trucs. Mais j’ai de très bons amis qui sont for­ma­teurs en ennéa­grammes, des trucs comme ça. Je leur dis tou­jours… En tout cas pas en ennéa­gramme par­ti­c­uli­er, mais j’en ai toujours…

J’aime bien aus­si l’astrologie. Pour une rai­son très sim­ple, c’est que dans un monde sci­en­tifique où tout est ramené à des lois générales, etc. Le vocab­u­laire de la car­ac­térolo­gie, vocab­u­laire qui per­met de dire des com­porte­ments, a dis­paru. On ne sait plus trou­ver les mots pour dire ce que veut l’on être, son tem­péra­ment, son car­ac­tère. Et au moins, si vous voulez, l’horoscope, le thème astral, dis­ons, on peut par­ler de l’horoscope, le thème astral nous donne un vocab­u­laire du car­ac­tère. Et c’est déjà pré­cieux. On est arrivé à un point où j’ai des ambi­tions très modestes.

Et les dia­grammes et l’histoire des qua­tre tem­péra­ments et les deux exposants de com­ment ça s’appelle ? Je pense que c’est ce truc là pour faire les choix de com­pé­tences, les pro­fils, les types, etc. Puisqu’à chaque fois, c’est des pos­si­bil­ités à dou­bles. Si on met ceci sur les sols, il y a trois types de trucs, je crois. Deux exposants, trois, je crois. Deux exposants, qua­tre. Deux exposants, qua­tre. C’est une logique binaire expo­nen­tial­isée, vous voyez, vous pou­vez essay­er de vous le caté­goris­er. Mais au moins, ça per­met de trou­ver le vocabulaire.

Main­tenant, je crois que les grands romans… Tol­stoï, Dos­toïevs­ki, Faulkn­er, Balzac… vous don­nent un plus grand sens à la fois de tout ce que vous êtes, de la diver­sité du réel, de la diver­sité des car­ac­tères, de la con­di­tion aus­si changeante de l’homme que ces caté­gori­sa­tions. La perte de la grande lit­téra­ture, c’est lié encore à quelque chose qui est manière de caté­goris­er l’aventure humaine pour la faire entr­er dans des logiques de per­for­mance. C’est pour ça que j’ai des résistances.

Mais vous savez, je prends tout ce qui con­tient de l’intelligence. Il y a des com­pé­tences que je n’ai absol­u­ment pas et je le recon­nais. J’ai déjà un psy­cho­logue à Phil­an­thro­pos. Avec les jeunes qui arrivent, je suis obligé d’avoir aus­si cette com­pé­tence. Et je suis très enne­mi du spir­i­tu­al­isme, des gens qui dis­ent : « Tu vas faire de l’adoration eucharis­tique et tous tes prob­lèmes vont être réso­lus. » Moi, j’ai con­nu des prêtres qui étaient dépres­sifs, grave­ment dépres­sifs. Peut-être qu’ils n’étaient pas au point dans leur vie spir­ituelle. Enfin ce n’est pas sim­ple. On est dans une tâche d’intelligence et de recom­po­si­tion des temps. On a besoin de tout le monde.

ÉLISABETH PARMENTIER : Mer­ci beau­coup. Mer­ci. Très grand plaisir de vous écouter. D’abord, c’est déjà une chose essen­tielle. Vous êtes à la fois, je trou­ve, dans un équili­bre qui rejoint votre souci d’incarnation, à la fois dans un équili­bre de vos propo­si­tions, de vos analy­ses. Moi, je suis très frap­pée de la qual­ité des dif­férentes ori­en­ta­tions que vous don­nez parce qu’on sent que c’est habité à la fois d’une vraie quête per­son­nelle et de beau­coup de ressources. Je trou­ve que ça donne courage aus­si dans nos pro­pres recherch­es péd­a­gogiques, d’enseignants, d’humains, tout sim­ple­ment. Je trou­ve que c’est vrai­ment extrême­ment con­struc­tif de vous écouter, en plus de la joie de lire vos analy­ses et vos manières d’écrire.

Je souhaite vrai­ment beau­coup de fécon­dité à votre insti­tut et à votre tra­vail qui est vrai­ment, me sem­ble-t-il, a le souci de toute la per­son­ne dans son envi­ron­nement. Et à vous également.

Mer­ci. Bonne fin de journée.

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