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Ste Garde, Participation au séminaire annuel de l’AIESC (Association Internationale de l’Enseignement Social Chrétien) — Beyond Technology Values matter — 31 August 2017

Ste Garde, Participation au séminaire annuel de l’AIESC (Association Internationale de l’Enseignement Social Chrétien) — Beyond Technology Values matter — 31 August 2017
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La fin des  temps mod­ernes  par Romano Guar­di­ni (1949)

CONCLUSION

(P. 100 à 121)

Avoir une puis­sance sig­ni­fie être maître du don­né. Grâce à elle, les effets directs de l’existant qui est en jeu et qu’il tourne con­tre notre vie sont désar­més et, le cas échéant, adap­tés aux exi­gences de cette vie. C’est ce qui s’est pro­duit à un degré émi­nent. Dans une large mesure, l’homme a en main les effets directs de la nature. Mais non pas l’effet indi­rect : cet « avoir en main » lui-même. Il a pou­voir sur les choses, mais il n’a pas — dis­ons-le avec plus de con­fi­ance — il n’a pas encore son pou­voir en son pouvoir.

L’homme est libre et peut utilis­er sa puis­sance à son gré. Mais c’est pré­cisé­ment là que réside la pos­si­bil­ité d’en faire mau­vais usage : mau­vais au sens de méchant comme au sens de destruc­teur. Qu’est-ce qui garan­tit que l’usage est licite ? Rien ! Rien ne garan­tit que la lib­erté pren­dra une déci­sion juste. Ce qui peut se pro­duire n’est que vraisem­blable et ce serait que la bonne volon­té devînt un état d’esprit, une atti­tude, un car­ac­tère. Mais l’examen sans préjugés doit — nous l’avons déjà remar­qué — con­stater qu’une for­ma­tion du car­ac­tère qui rendrait vraisem­blable le bon usage de la puis­sance n’existe pas. L’homme des temps mod­ernes n’est pas pré­paré à cette mon­tée démesurée de sa puis­sance. Sur l’usage de celle-ci, il n’existe pas encore d’éthique — rigoureuse­ment pen­sée et frap­pée au coin de l’efficacité, moins encore une édu­ca­tion dans ce sens, soit d’une élite, soit de la collectivité.

  Pour toutes ces raisons, le dan­ger fon­da­men­tal qui a la lib­erté pour orig­ine a pris une forme pres­sante. La sci­ence et la tech­nique ont ren­du disponibles à un tel degré les éner­gies de la nature, comme celles de l’homme lui-même, que des destruc­tions d’une éten­due absol­u­ment imprévis­i­ble, aiguës ou chroniques, peu­vent avoir lieu. Il est absol­u­ment exact de dire que, désor­mais, une nou­velle ère de l’histoire com­mence. Désor­mais et pour tou­jours, l’homme vivra en marge d’un dan­ger qui men­ace toute son exis­tence et qui grandi­ra sans cesse.

Si l’on ajoute encore la con­sid­éra­tion évo­quée ci-dessus et pro­pre à nous endormir, d’une cul­ture assurée en soi et qui crée la sécu­rité, on voit à quel point l’humanité d’aujourd’hui est peu pré­parée à admin­istr­er l’héritage que représente la puis­sance acquise jusqu’ici. À tout moment, la sit­u­a­tion peut la ren­vers­er. Et non seule­ment les élé­ments sans force en elle, mais aus­si et surtout, pré­cisé­ment, les élé­ments act­ifs, les con­quérants, les organ­isa­teurs, les chefs. Dans les deux précé­dentes décades, le pre­mier exem­ple mon­strueux nous en a fait faire l’expérience, mais il sem­ble que trop peu de per­son­nes l’aient réelle­ment com­pris. Sans cesse, l’impression s’impose que le moyen par lequel on vient à bout des prob­lèmes qui mon­tent comme un flot, c’est, en dernière analyse, la vio­lence. Mais cela sig­ni­fierait que le mau­vais usage de la puis­sance devient la règle.

Le prob­lème essen­tiel, autour duquel tourn­era la future tâche de la cul­ture et dont la solu­tion com­man­dera tout, non seule­ment le bien-être ou la mis­ère, mais la vie et la mort, c’est la puis­sance. Non pas pour l’intensifier, cela ira de soi, mais pour la dompter et en faire bon usage.

Les forces chao­tiques prim­i­tives sont vain­cues : sous sa forme immé­di­ate­ment don­née, la nature obéit. Mais elles réap­pa­rais­sent au sein de la cul­ture elle-même et leur élé­ment est, pré­cisé­ment, ce qui a vain­cu les forces prim­i­tives : la puis­sance elle-même.

Dans ce sec­ond déchaîne­ment chao­tique, tous les abîmes des orig­ines se sont rou­verts. Voici, de nou­veau, l’envahissement désor­don­né des forêts meur­trières. Tous les mons­tres des soli­tudes, tous les effrois des ténèbres sont revenus. L’homme se trou­ve de nou­veau en présence du chaos, et c’est d’autant plus ter­ri­ble que la plu­part des hommes ne le voient absol­u­ment pas, parce que l’on entend partout dis­courir des gens qui ont une for­ma­tion sci­en­tifique, que des machines sont en action et que des admin­is­tra­tions fonctionnent.

Peut-être ce qui précède a‑t-il mon­tré plus claire­ment pourquoi nous nous sommes demandé si nous ne devions pas employ­er le terme de « cul­ture non-cul­turelle ». Si ce que l’homme des siè­cles passés a pro­duit, en quoi il s’était établi, était une cul­ture, ce à quoi nous avons affaire aujourd’hui est effec­tive­ment quelque chose de dif­férent, dont la sphère exis­ten­tielle est autre ; autre est son car­ac­tère et autre ce qui en dépend.

La ver­tu dom­i­nante sera avant tout le sérieux qui veut la vérité. Peut-être nous est-il per­mis d’en trou­ver les symp­tômes dans l’objectivité dont on voit maints indices. Il veut savoir ce qui est réelle­ment en jeu à tra­vers tous ces bavardages sur le pro­grès et la con­nais­sance totale de la nature, et il prend la respon­s­abil­ité que lui impose la nou­velle situation.

La deux­ième ver­tu sera la force. Une force sans pathé­tique, spir­ituelle, engageant la per­son­ne, et opposée au chaos menaçant. Elle devra être plus pure et plus intense que celle qui est exigée devant les bombes atom­iques et les engins semeurs de bac­téries, car il lui fau­dra se mesur­er a l’ennemi uni­versel : le chaos qui monte — dans — l’œuvre humaine elle-même et, comme toute force réelle­ment grande, elle aura con­tre elle le nom­bre, l’opinion publi­que, les con­tre-vérités con­den­sées dans les slo­gans et les organisations.

Et en troisième lieu : la lib­erté devra s’y ajouter. La
lib­erté intérieure à l’égard de la vio­lence qui exerce son emprise sous toutes les formes ; à l’égard des puis­sances de sug­ges­tion par la pro­pa­gande, là presse, la radio et le ciné­ma, à l’égard du désir de puis­sance, de son ivresse et de son car­ac­tère démo­ni­aque qui agis­sent jusque dans les domaines spir­ituels. Cette lib­erté ne peut être acquise que par une véri­ta­ble édu­ca­tion, extérieure et intérieure. Et par l’ascèse. Devant l’ascèse, le sen­ti­ment des temps mo­dernes était tout d’aversion, elle était comme la syn­thèse de ce dont ils voulaient se libér­er. Mais pré­cisé­ment par là, ils se sont intérieure­ment aban­don­nés, au som­meil, livrés à eux-mêmes. Par la lutte con­tre soi et le renon­ce­ment, l’homme doit appren­dre à se maîtris­er et, par là aus­si, à maîtris­er sa pro­pre puis­sance. La lib­erté, ain­si acquise s’appliquera alors sérieuse­ment aux options réelles, tan­dis qu’aujourd’hui nous voyons traiter, des billevesées avec une grav­ité qua­si méta­physique. Elle trans­formera le sim­ple courage en force véri­ta­ble et démas­quera les héroïsmes illu­soires au : Imnn desquels l’homme d’aujourd’hui, envoûté par des abso­lus illu­soires, se laisse sac­ri­fi­er de tout cela, il faut que naisse finale­ment un art spir­ituel de gou­verne­ment dans lequel la puis­sance régn­era sur la puis­sance. Il dis­tinguera le juste du faux, le but et les moyens. Il trou­vera la mesure et créera dans l’effort du tra­vail et du com­bat une sphère où l’homme pour­ra vivre avec dig­nité et joie. C’est cela seule­ment qui sera la véri­table puissance.

J’espère avoir mon­tré qu’il ne s’agit pas ici de pes­simisme. Ou, pour mieux dire, d’un faux pes­simisme, car il en existe aus­si un juste sans lequel rien de grand ne se fait. Il est la force amère qui rend le cœur fort et l’esprit créa­teur capa­bles de faire œuvre durable.

Ce pes­simisme devrait certes être représen­té. Il faudrait mon­tr­er la seule et véri­ta­ble option qui est à l’arrière-plan des nom­breuses options « par­ti­c­ulières telles qu’elles s’impo­sent partout. Ces pos­si­bil­ités sont ou bien la fin par la destruc­tion intérieure comme extérieure — ou bien une nou­velle forme du monde où vivrait une human­ité con­sciente de ce qu’elle sig­ni­fie et ayant des pos­si­bil­ités d’ave­nir.

On ne s’interrogera pas ici sur la nature et le car­ac­tère de cette forme du monde. Si l’on rap­prochait les divers indices qui se mon­trent un peu partout, si l’on étu­di­ait les par­tic­u­lar­ités des formes et des struc­tures en devenir et si l’on essayait de com­pren­dre les motifs et les attitudes

en action, il y aurait certes beau­coup de choses à dire. Mais elles dépasseraient le cadre de cet opus­cule et nous les remet­trons à une autre occasion.

 

Les temps qui viennent…

 

En par­tant de ce qui a été exposé, il nous est pos­si­ble aus­si de nous exprimer quelque peu sur la reli­giosité des temps qui vien­nent, avec toutes les réserves que la situa­tion impose à de tels propos.

 

Jetons encore un coup d’œil en arrière.

Au moyen âge, la vie était pénétrée de reli­gion dans toutes ses couch­es et toutes ses ram­i­fi­ca­tions. La foi chré­tienne con­sti­tu­ait la vérité uni­verselle­ment admise. La lég­is­la­tion, l’ordre social, la morale privée comme la mo­rale publique, la pen­sée philosophique, le tra­vail artis­tique, les idées qui soute­naient l’histoire — tout était en quelque sorte car­ac­térisé par le chris­tian­isme et l’Église. On n’en­tend pas par là porter un juge­ment sur la valeur humaine ou cul­turelle de telle ou telle per­son­nal­ité, de telle ou telle réal­i­sa­tion, mais même la façon dont une injus­tice était com­mise était encore soumise à une norme chré­tienne. L’Église était unie à l’État de la façon la plus étroite, et même où l’empereur et le pape, le prince et l’évêque vivaient en mau­vaise intel­li­gence, s’accusaient l’un l’autre et se maud­is­saient récipro­que­ment, l’Église en tant qu’Église n’était pas mise en question.

Il faut y ajouter un sec­ond élé­ment. La foi chré­ti­enne représente un lien de la per­son­ne avec le Dieu révélé. Elle trou­ve son accom­plisse­ment selon la pureté et la fidél­ité de cet attache­ment. Mais c’est une ques­tion dif­férente de savoir jusqu’à quel point l’homme est capa­ble de faire l’expérience d’une réal­ité religieuse, en général, dans quelle mesure il sent vivante sa rela­tion avec le divin et si cette rela­tion agit directe­ment dans sa vie. Au moyen âge, ces rap­ports étaient très directs, l’expérience religieuse très inten­sé­ment dévelop­pée, d’une grande pro­fondeur et d’une grande déli­catesse. Toutes les choses et tous les rap­ports de la vie étaient sat­urés de valeur religieuse. La poésie et l’art, les formes de l’Etat, de la société et de l’éco­nomie, les usages, les légen­des et la vie des saints prou­vent que, même indépen­dam­ment de leurs con­tenus res­pectifs, l’existence entière avait un car­ac­tère religieux. À ce point de vue, le moyen âge se rat­tachait étroite­ment à l’antiquité qu’il pro­longeait et même aux temps prim­i­tifs de l’histoire : l’afflux de vie qu’avaient apporté les peu­ples jeunes du nord au moment des : grandes migra­tions et man­i­fes­tait en lui. Cette apti­tude religieuse représente d’abord un élé­ment dif­férent de la piété chré­ti­enne, de même que ce qu’elle per­met de saisir dans les choses et les événe­ments est dif­férent du con­tenu de la Révéla­tion. Mais entre ces deux domaines d’expérience, un rap­port existe. La reli­giosité naturelle est puri­fiée par la Révéla­tion I et accueil­lie dans l’ensemble de ses sig­ni­fi­ca­tions. De son côté, elle apporte à la foi chré­ti­enne des forces prim­i­tives, des élé­ments du monde et de la vie grâce aux­quels les con­tenus de la Révéla­tion sont rap­portés à la réal­ité terrestre.

Au cours des temps mod­ernes, toute cette sit­u­a­tion subit une pro­fonde transformation.

La vérité de la Révéla­tion chré­ti­enne est de plus en plus mise en ques­tion ; sa valeur pour la for­ma­tion et la con­duite de la vie se dis­cute de façon tou­jours plus péremp­toire : vis-à-vis de l’Église surtout, l’état d’esprit de l’homme cul­tivé man­i­feste une oppo­si­tion sans cesse plus vive. La pré­ten­tion nou­velle : dévelop­per les dif­férentes man­i­fes­ta­tions de la vie et de l’activité, poli­tique, éco­nomie, ordre social, sci­ence, art, philoso­phie, édu­ca­tion, etc., unique­ment à par­tir de leurs normes internes, parait tou­jours davan­tage aller de soi. Ain­si se con­stitue une forme de vie non chré­ti­enne et, sous de mul­ti­ples rap­ports, anti-chré­ti­enne. Elle s’affirme de façon si logique qu’elle sem­ble absol­u­ment nor­male et l’exigence de l’Église qui veut que la vie soit déter­minée par la Reve­lation, appa­raît comme un empiéte­ment. Même le croy­ant adopte dans une large mesure cette façon de voir lorsqu’il pense que les choses religieuses sont un domaine en soi et les choses du monde égale­ment, que chaque domaine doit adopter la struc­ture qui con­vient à sa nature pro­pre et qu’il faut laiss­er l’individu libre de vivre jusqu’à tel ou tel point dans ces deux domaines, selon son désir.

La con­séquence, c’est que, d’un côté, une exis­tence pro­fane se fait jour, autonome, détachée des influ­ences chré­ti­ennes directes, et, de l’autre côté, un chris­tian­isme qui, d’étrange façon, imite cette « autonomie ». De même que se développe une sci­ence pure­ment sci­en­tifique, une économie pure­ment économique, une poli­tique pure­ment poli­tique, il en va de même pour une reli­giosité pure­ment religieuse. Celle-ci perd de plus en plus ses rap­ports directs avec la vie con­crète, s’appauvrit de plus en plus de son con­tenu pro­fane, se lim­ite tou­jours plus exclu­sive­ment à la doc­trine et à la pra­tique « pure­ment religieuse » et n’a plus, pour beau­coup d’individus, d’autre sig­ni­fi­ca­tion que celle de don­ner une con­sécra­tion religieuse à cer­tains points cul­mi­nants de l’existence : la nais­sance, le mariage, la mort.

En règle générale, c’est à cet état de choses que l’on pense lorsqu’on par­le de la sit­u­a­tion religieuse des temps mod­ernes. Mais on peut ajouter autre chose encore : le déclin de cette récep­tiv­ité religieuse directe dont nous avons parlé.

On étudie la nature de façon tou­jours plus expérimen­tale et rationnelle, on conçoit de plus en plus la poli­tique comme un sim­ple jeu de puis­sances et d’intérêts ; on déduit logique­ment l’économie de l’utilité et du bien-être ; on traite là tech­nique comme un grand sys­tème ser­vant à toutes les fins ; on con­sid­ère l’art comme une créa­tion de formes selon les critères esthé­tiques et la péd­a­gogie comme l’éducation d’un indi­vidu capa­ble de s’insérer. dans cet État et cette cul­ture. Dans la même mesure, la récep­tiv­ité religieuse décroît. Nous enten­dons par là, nous le répé­tons, non pas la foi à la Révéla­tion chré­ti­enne et la con­duite d’une vie que celte Révéla­tion déter­mine, mais une rela­tion directe avec le con­tenu, religieux des choses, l’emprise sur l’âme du mys­tère répan­du dans.le monde, telle qu’elle se ren­con­tre chez tous les peu­ples et dans tous les temps.

Cela sig­ni­fie que, dans une large mesure, l’homme des temps mod­ernes non seule­ment perd la foi en la Révéla­tion chré­ti­enne, mais subit aus­si un affaib­lisse­ment de ses dis­po­si­tions « religieuses naturelles, de sorte qu’il con­sid­ère de plus en plus le monde comme une réal­ité pro­fane. Les con­séquences en sont immenses.

Ain­si, par exem­ple, l’ensemble des événe­ments dont est faite la vie appa­rait non plus comme la Prov­i­dence dont Jésus a par­lé, non pas même comme ce mys­tère de la des­tinée dont l’antiquité à fait l’expérience, mais comme une sim­ple suite de caus­es et d’effets empiriques qui peu­vent être com­pris et dirigés. On peut en voir de nom­breuses man­i­fes­ta­tions. Nous n’en don­nerons qu’un exem­ple : le sys­tème d’assurances tel qu’il existe aujourd’hui.
Si on le con­sid­ère dans les développe­ments extrêmes qu’il a déjà pris dans beau­coup de-pays, il appa­raît absol­u­ment comme « la mie à l’écart de tout arrière-plan religieux. Toutes les éven­tu­al­ités de la vie sont « prévues », calculées,

selon leur fréquence et leur impor­tance, et ren­dues inoffensives.

Les événe­ments cap­i­taux de la vie humaine : la con­cep­tion, la nais­sance, la mal­adie et la mort per­dent leur car­ac­tère de mys­tère. Ils se trans­for­ment en proces­sus soci­aux et biologiques dont s’occupent une sci­ence et une « tech­nique médi­cales tou­jours plus sûres d’elles-mêmes. Mais dans la mesure où ils représen­tent des faits dont on ne peut se ren­dre maître, on les « anesthésie », c’est-à-dire qu’on les rend sans impor­tance — et déjà appa­raît en. [lurge, et non seule­ment en marge du champ de cul­ture, Iâ tech­nique com­plé­men­taire qui vise à tri­om­pher rationnellernem de la vie et de la mort, c’est-à-dire à sup­primer la vie lorsqu’elle n’apparaît plus digne d’être vécue au vivant lui-même ou à l’État quand elle ne lui sem­ble plus cor­re­spon­dre aux fins qu’il se propose.

On voit dis­paraître l’accent religieux qui était mis autre­fois sur l’Etat, le car­ac­tère de grandeur qui avait pour orig­ine une con­sécra­tion con­sid­érée comme divine à quelque point de vue. L’État mod­erne fait dériv­er du peu­ple tout pou­voir. On essaye pen­dant un cer­tain temps de don­ner au peu­ple lui-même un car­ac­tère de grandeur (voir les con­cep­tions du roman­tisme, du nation­al­isme et de la pre­mière démoc­ra­tie). Mais bien­tôt l’idée se vide de son con­tenu et ne sig­ni­fie plus rien, sinon que « le peu­ple », c’est-à-dire les nom­breux indi­vidus qui appar­ti­en­nent à l’État, en exp­ri­mant d’une façon quel­conque leur volon­té, con­stituent la suprême instance dans la série de mesures que prend l’État. Quand ce n’est pas, en réal­ité, une fac­tion par­ti­c­ulière­ment agis­sante qui dirige les affaires.

 

 

Il y aurait encore beau­coup d’autres choses à dire sur ce point. Partout se con­stituent des modes d’existence qui ne dépen­dent plus que de fac­teurs empiriques.

Mais alors une ques­tion se pose une vie ain­si con­stru­ite est-elle pos­si­ble à la longue ? Pos­sède-t-elle le sens dont elle a besoin pour pou­voir rester la vie d’êtres humains ? Bien plus : est-elle seule­ment capa­ble d’atteindre les buts qui, dans chaque sit­u­a­tion, doivent être atteints ?

Les struc­tures ne per­dent-elles pas leur force lorsqu’elles ne sont envis­agées que dans leur con­tenu empirique ? L’État, par exem­ple, a besoin du ser­ment. C’est la forme qui engage le plus l’homme quand il se prononce sur un fait ou s’oblige à un acte. Celui qui prête ser­ment rap­porte expressé­ment et solen­nelle­ment sa déc­la­ra­tion à Dieu. Mais si et telle est la ten­dance des temps moder­nes — le ser­ment n’inclut plus ce rap­port à Dieu ? Il n’a plus alors qu’une sig­ni­fi­ca­tion : celui qui prête ser­ment déclare être infor­mé qu’il sera puni des travaux for­cés s’il ne dit pas la vérité for­mulée qui n’a plus guère de sens et cer­taine­ment plus aucun effet.

Tout exis­tant est plus que lui-même tout événe­ment sig­ni­fie plus que son strict accom­plisse­ment : ils se rap­portent à quelque chose qui se situe au-dessus d’eux ou au-delà d’eux. C’est seule­ment à par­tir de là qu’ils reçoivent leur pléni­tude. Si cela dis­paraît, les choses comme les insti­tu­tions se vident de leur con­tenu. Elles per­dent leur force et leur sig­ni­fi­ca­tion, elles ne con­va­in­quent plus. La loi de l’État est plus qu’un sim­ple appareil réglant un com­porte­ment publique­ment approu­vé ; au-delà d’elle se trou­ve un intan­gi­ble qui, lorsque la loi est vio­lée, s’impose à la con­science. L’ordre social est plus qu’une sim­ple garantie pour une vie en com­mun sans fric­tions ; au-delà de lui se situe quelque chose qui, de telle ou telle manière, trans­forme en crime la trans­gres­sion. Cet élé­ment reli­gieux fait que les dif­férentes atti­tudes néces­saires à l’exis­tence humaine sont réal­isées même sans pres­sion exté­rieure, « d’elles-mêmes », que ses dif­férents élé­ments res­tent en rap­ports les uns avec les autres et for­ment une unité. Il n’existe pas de monde sim­ple­ment pro­fane, mais dans la mesure où un vouloir opiniâtre réus­sit à en créer la simil­i­tude, celle-ci ne fonc­tionne pas. C’est un sim­ple arti­fice sans force intérieure, il ne con­va­inc pas la rai­son qui guide la vie, sous-jacente à la rai­son ratio­nal­iste. Le cœur n’a plus le sen­ti­ment qu’un tel monde « vaut la peine » de vivre.

Sans élé­ment religieux, la vie devient comme un moteur, qui n’a plus d’huile. Il chauffe. À tout instant telle ou telle pièce brûle. Partout des rouages se démon­tent qui devraient exacte­ment s’emboîter. Le cen­tre et les attach­es se rompent. L’existence se désor­gan­ise et alors se pro­duit ce court-cir­cuit qui s’accomplit depuis trente ans dans une mesure tou­jours crois­sante. On use de la vio­lence et est par là que la détresse, impuis­sante, cherche une issue quand les hommes ne se sen­tent plus unis de l’intérieur, on les organ­ise extérieure­ment, et pour que l’organisation tra­vaille l’Etat met par-der­rière sa con­trainte. Mais peut-on, à la longue, vivre par contrainte ?

Nous avons vu que, depuis le début des temps moder­nes, une cul­ture non chré­ti­enne s’élabore. Pen­dant long­temps, cette néga­tion ne s’adresse qu’au con­tenu de la Révéla­tion lui-même, non pas aux valeurs éthiques, soit indi­vidu­elles, soit sociales, qui se sont dévelop­pées sous son influ­ence. Au con­traire, la cul­ture des temps mod­ernes pré­tend pré­cisé­ment repos­er sur ces valeurs. Selon ce point de vue, large­ment adop­té par l’étude de l’histoire, des valeurs comme par exem­ple la per­son­ne, la lib­erté, la respon­s­abil­ité et la dig­nité indi­vidu­elles, l’estime réciproque, I’en­traide, sont des pos­si­bil­ités innées chez l’homme que les temps mod­ernes ont décou­vertes et dévelop­pées. Sans doute, dit-on, la cul­ture humaine, aux pre­miers temps du chris­tian­isme, a favorisé leur ger­mi­na­tion, de même elles ont été dévelop­pées par la cul­ture religieuse de la vie intérieure et de la char­ité active au cours du moyen âge. Mais, ajoute-t-on, cette autonomie de la per­son­ne a pris con­science d’elle-même et est dev­enue une con­quête naturelle indépen­dante du chris­tian­isme. Ce point de vue s’exprime de mul­ti­ples façons et d’une manière par­ti­c­ulière­ment représen­ta­tive dans les droits de l’homme, au temps de la Révo­lu­tion française.

Mais en vérité, ces valeurs et ces atti­tudes sont liées à la Révéla­tion. Celle-ci se trou­ve en effet dans un rap­port par­ti­c­uli­er avec l’humain immé­di­at. Elle a pour orig­ine la lib­erté de la grâce divine, mais elle attire l’humain dans son har­monie ; de là naît la struc­ture chré­ti­enne de la vie. Par là sont libérées dans l’homme des forces qui, en soi, sont « naturelles », mais qui ne se dévelop­peraient pas en dehors de cette rela­tion. L’homme prend con­science de valeurs qui, en soi, sont évi­dentes, mais qui ne devi­en­nent vis­i­bles que sous cette lumière. L’idée que ces valeurs et ces atti­tudes appar­ti­en­nent sim­ple­ment à la nature humaine qui évolue mécon­naît par con­séquent le véri­ta­ble état de choses ; bien plus, elle con­duit — il faut avoir le courage de le dire franche­ment à une déloy­auté ni, pour l’observateur plus atten­tif, fait donc par­tie aus­si de l’image des temps modernes.

 

L’homme est essen­tielle­ment per­son­ne, mais celle-ci devient vis­i­ble au regard et la volon­té morale peut l’affir­mer seule­ment quand la Révéla­tion rend acces­si­ble, par l’adoption comme enfant de Dieu et par la Prov­i­dence, le rap­port au Dieu per­son­nel et vivant, S’il n’en est pas ain­si, on a certes con­science de l’individu aux heureuses dis­po­si­tions, dis­tin­gué et créa­teur, mais non pas de la per­son­ne pro­pre­ment dite, déter­mi­na­tion absolue de chaque être humain, au-delà de toutes les qual­ités psy­chologiques ou cul­turelles. Ain­si, la con­nais­sance de la per­son­ne est liée à la foi chré­ti­enne. On pour­ra pen­dant un cer­tain temps encore l’affirmer et la cul­tiv­er après que cette foi se sera éteinte, mais ensuite ces notions se per­dront peu à peu. Il en est de même pour les valeurs cor­re­spon­dantes où s’épanouît la con­science de la per­son­ne. Ain­si, par exem­ple, pour ce respect qui ne va pas à un don par­ti­c­uli­er ou à une sit­u­a­tion sociale, mais à là réal­ité de la per­son­ne en tant que per­son­ne, à sa qual­ité d’être unique, irrem­plable, inal­ién­able en chaque indi­vidu, qu’il soit pour le reste dis­posé et mesuré comme on voudra… Ou pour cette lib­erté qui ne représente pas la pos­si­bil­ité de se dévelop­per et de vivre en don­nant sa mesure, donc réservée à l’homme priv­ilégié en soi ou sociale­ment, mais à la capac­ité pour chaque indi­vidu de pren­dre une déci­sion, d’être ain­si maitre de son acte et, par là, maitre de lui-même. Ou bien pour cet amour du prochain qui ne sig­ni­fie pas sym­pa­thie, entraide, oblig­a­tion, sociale ou que chose d’analogue, mais la fac­ulté d’affirmer le « toi » dans l’autre et d’être ain­si le « moi ». Tout cela ne reste en éveil qu’autant que l’on sait encore de façon vivante ce qu’est la per­son­ne. Mais dès que cette con­nais­sance s’efface, en même temps que la foi aux rap­ports chré­tiens avec Dieu, ces valeurs et ces atti­tudes dis­parais­sent, elles aussi.

Que ces rap­ports n’aient pas été recon­nus, que les temps mod­ernes aient revendiqué pour eux la per­son­ne et les valeurs de la per­son­ne en sup­p­ri­mant leur garant, la Révéla­tion chré­ti­enne, c’est là ce qui a engen­dré cette déloy­auté intérieure dont nous avons par­lé. Tout ce com­plexe s’est d’ailleurs dévoilé peu à peu. Le clas­si­cisme alle­mand com­porte des valeurs et des atti­tudes déjà flot­tantes. Sa noble human­ité est belle, mais sans la suprême racine de vérité, car elle refuse la Révéla­tion et se nour­rit cepen­dant partout de ses effets. Par là aus­si, elle perd peu à peu son atti­tude humaine dès la généra­tion suiv­ante. Et non pas parce que celle-ci se trou­verait à un niveau inférieur, mais parce que la cul­ture de la per­son­ne, coupée de ses racines, se révèle impuis­sante en face de la poussée positiviste.

Ce proces­sus s’est pour­suivi et quand alors a fait soudaine­ment irrup­tion le sys­tème de valeurs des deux dernières décades, en con­tra­dic­tion si fla­grante avec toute la tra­di­tion cul­turelle des temps mod­ernes, cette soudaineté et cette con­tra­dic­tion n’étaient qu’apparentes : en réal­ité, un vide est apparu qui exis­tait déjà depuis longtemps. La véri­ta­ble per­son­ne, en même temps que son monde de valeurs et de com­porte­ments, avait dis­paru de la con­science avec le refus de la Révélation.

Les temps qui vien­nent créeront ici une clarté ter­ri­ble, mais salu­taire. Aucun chré­tien ne peut se réjouir lorsqu’une absence rad­i­cale de chris­tian­isme se man­i­feste. Car la Révéla­tion n’est pas une expéri­ence sub­jec­tive, mais la vérité pure, man­i­festée par Celui qui a aus­si créé le monde, et chaque heure de l’histoire qui rend impos­si­ble à cette vérité d’exercer son influ­ence est men­acée au plus intime d’elle-même. Mais il est bon que cette déloy­auté soit mise à nu. Alors on ver­ra com­ment appa­raît la réal­ité lorsque l’homme s’est détaché de la Révéla­tion et que cesse l’usufruit qu’il en tirait.

  Mais il faut encore répon­dre à cette ques­tion : de quelle nature sera la reli­giosité des temps qui vien­nent ? Non pas son con­tenu révélé, car il est éter­nel, mais la forme his­torique de sa réal­i­sa­tion, sa struc­ture humaine ? Il Y aurait ici beau­coup à dire et à sup­pos­er, mais il nous faut nous limiter.

Ce que nous avons indiqué en dernier lieu sera plus impor­tant que tout : la man­i­fes­ta­tion vio­lente de l’existence non chré­ti­enne. Plus le non-croy­ant affirme caté­gorique­ment son refus de la Révéla­tion, plus il la réalise logique­ment dans la pra­tique, mieux on ver­ra ce qu’est le chris­tian­isme. Il faut que le non-croy­ant sorte du brouil­lard des sécu­lar­i­sa­tions. Il faut qu’il renonce à l’usufruit qui nie la Révéla­tion, mais qui s’est appro­prié les valeurs et les forces élaborées par celle-ci. Il faut qu’il accom­plisse hon­nête­ment son exis­tence sans le Christ et sans le Dieu révélé par le Christ, et qu’il apprenne ce que cela sig­ni­fie. Déjà Niet­zsche a mis en garde en dis­ant que le non-chré­tien des temps mod­ernes n’a pas encore recon­nu du tout ce que cela sig­ni­fie en réal­ité que d’être ce non-chré­tien. Les décades précé­dentes nous en ont don­né une idée, mais ce n’était là que le commencement.

Un nou­veau pagan­isme se dévelop­pera, Mais d’autres natures que le pre­mier. Ici aus­si, on se trou­ve en présence d’une équiv­oque qui se man­i­feste, entre autres, dans les rap­ports avec l’antiquité. Le non-chré­tien d’aujourd’hui pense sou­vent qu’il peut ray­er le chris­tian­i­sine, et chercher une autre voie religieuse en par­tant de l’antiquité. Mais il se trompe. On ne peut pas remon­ter le cours de l’his­toire. Comme forme d’existence, l’antiquité est défini­tive­ment dépassée. Si l’homme d’aujourd’hui devient païen, il le sera dans un tout autre sens que l’homme d’avant le Christ. En dépit de toute la grandeur de sa vie et de son œuvre, l’attitude religieuse de celui-ci avait une naïveté juvénile. Il se trou­vait encore avant cette option qui se réalise par le Christ. Par celle-ci, quelle qu’elle soit, l’homme se place à un autre niveau exis­ten­tiel, Sören Kierkegaard l’a expliqué une fois pour toutes. Son exis­tence acquiert un sérieux que l’antiquité n’a pas con­nu, parce qu’elle ne pou­vait pas le con­naître, qui n’est pas dû­, à une matu­rité autonome, mais à l’appel que Dieu adresse à la per­son­ne par le Christ : elle ouvre les yeux, elle est désor­mais éveil­lée, qu’elle le veuille au non. Ce sérieux à pour orig­ine la par­tic­i­pa­tion sécu­laire à l’existence du Christ, l’expérience faite avec lui de cette ter­ri­ble clarté avec laque­lle il a su ce qui est dans l’homme et de ce courage surhu­main avec lequel il a subi l’existence humaine. D’où l’étrange impres­sion d’êtres n’ayant pas atteint leur crois­sance que nous font si sou­vent les anti-chré­tiens qui croient en l’antiquité.

 

Il en est de même pour la réno­va­tion du mythe nordique. Dans la mesure où elle ne sert pas unique­ment, comme dans le nation­al-social­isme, a dis­simuler le des­sein d’accéder au pou­voir, elle est aus­si dénuée de sub­stance que celle du mythe antique. Le pagan­isme nordique se trou­vait encore, lui aus­si, devant cette option qui le con­traig­nit à ne plus vivre à l’abri — et en même temps pris­on­nier d’une exis­tence spon­tanée, avec ses rythmes et ses images — pour accéder au sérieux de la per­son­ne, quelle qu’ait pu être cette option.

On peut en dire autant de tous les essais qui ont été faits pour créer un nou­veau mythe par la sécu­lar­i­sa­tion de pen­sées et d’attitudes chré­ti­ennes, comme c’est, par exem­ple, le cas dans la poésie du Rilke de la dernière péri­ode. Mais ce qu’elle ren­ferme de spon­tané, c’est-à-dire la volon­té d’effacer de la Révéla­tion son car­ac­tère d’au-delà et de don­ner à l’existence une base unique­ment ter­restre, mon­tre déjà son impuis­sance par l’incapacité de se situer dans ce qui com­mence. Les ten­ta­tives que, par exem­ple, les Son­nets à Orphée font dans ce sens traduisent une détresse émou­vante et, à côté de la pré­ten­tion des Élé­gies, causent une pénible impression.

Enfin, en ce qui con­cerne des vues comme celles d’un cer­tain exis­ten­tial­isme français, leur néga­tion du sens de l’existence est d’une telle vio­lence que l’on se demande s’il ne représente pas une man­i­fes­ta­tion par­ti­c­ulière­ment dés­espérée du roman­tisme, ren­due pos­si­ble par les boule­verse­ments des dernières décades.

Une ten­ta­tive pour met­tre l’existence non seule­ment en con­tra­dic­tion avec la Révéla­tion chré­ti­enne, mais pour lui don­ner une base vrai­ment indépen­dante d’elle et imma­nente serait d’un réal­isme tout dif­férent. Il faut atten­dre pour savoir dans quelle mesure l’Est le pro­duira et ce qui alors advien­dra de l’homme.

Mais il fau­dra que la foi chré­ti­enne elle-même acquière un car­ac­tère de réso­lu­tion tout nou­veau. Elle aus­si doit se dégager des sécu­lar­i­sa­tions, des simil­i­tudes, des demi-mesures et des com­pro­mis­sions. Et ici, il me sem­ble qu’une grande con­fi­ance est permise.

Il a tou­jours été par­ti­c­ulière­ment dif­fi­cile au chré­tien de s’accommoder des temps mod­ernes. Le sou­venir de leur révolte con­tre Dieu était trop vivant, la manière dont ils ont mis tous les domaines de la créa­tion cul­turelle en con­tra­dic­tion avec la foi et poussé cette foi elle-même dans une sit­u­a­tion d’infériorité, était trop ambiguë. Il y avait, en out­re, ce que nous avons nom­mé la déloy­auté des temps mod­ernes : ce dou­ble jeu qui, d’une part, refu­sait la doc­trine et l’ordre chré­tiens de la vie, mais d’autre part pré­tendait annex­er leurs effets sur la cul­ture humaine. Il en est résulté pour le chré­tien une atti­tude hési­tante dans ses rap­ports avec les temps mod­ernes. Partout, il trou­vait en eux des idées et des valeurs dont l’origine chré­ti­enne était évi­dente, mais que l’on déclarait être bien com­mun. Partout, il ren­con­trait des valeurs essen­tielle­ment chré­ti­ennes, mais que l’on retour­nait con­tre lui. Com­ment aurait-il pu avoir con­fi­ance ? Ces obscu­rités cesseront. Là où les temps qui vien­nent s’opposeront au chris­tian­isme, ils le fer­ont avec sérieux. Ils déclareront que les valeurs chré­ti­ennes sécu­lar­isées sont pure sen­ti­men­tal­ité et l’atmosphère sera puri­fiée. Pleine d’hostilité et de dan­ger, mais nette et claire.

Le relâche­ment qu’ont subi les forces religieuses directes, ain­si que la capac­ité d’expérience et de for­ma­tion religieuses dont nous avons déjà par­lé, agiront aus­si dans le même sens. Quand la reli­gion est partout présente, c’est une aide pour la foi, mais le con­tenu de cette foi peut aus­si s’en trou­ver voilé et laï­cisé. Quand la reli­gion se man­i­feste moins, la foi est plus rare, mais aus­si plus pure et plus forte. Elle a un regard plus ouvert sur le réel et son cen­tre de grav­ité pénètre plus pro­fondé­ment dans la per­son­ne, dans l’option, la fidél­ité et la capac­ité de vaincre.

Ce qui a été dit ci-dessus sur la sit­u­a­tion et son dan­ger vaut aus­si pour l’attitude chré­ti­enne. Elle devra porter de façon par­ti­c­ulière le car­ac­tère de la con­fi­ance et de la force.

On a sou­vent reproché au chris­tian­isme d’offrir à l’homme un abri con­tre le péril auquel l’expose la sit­u­a­tion actuelle. Il y avait bien du vrai — et non seule­ment parce que le dogme, dans son objec­tiv­ité, crée un ordre sûr pour la pen­sée et la vie, mais aus­si parce que sub­siste encore dans l’Eglise une foule de tra­di­tions cul­turelles qui ont dis­paru ailleurs. Ce reproche aura de moins en moins de rai­son d’être dans les temps qui viennent.

Le bien cul­turel de l’Église ne pour­ra échap­per à la déca­dence générale de la tra­di­tion et là où il sub­sis­tera encore, beau­coup de prob­lèmes lui porteront de rudes coups. Mais en ce qui con­cerne le dogme, il est certes dans sa nature de sur­vivre à tous les tour­nants des temps puisqu’il est fondé dans le supra-tem­porel, on peut sup­poser, cepen­dant, qu’il fera com­pren­dre de façon par­ti­c­ulière­ment sen­si­ble le mode de vie. Plus le chris­tian­isme s’affirmera comme n’allant pas de soi, plus il lui fau­dra se sépar­er net­te­ment d’une con­cep­tion non chré­ti­enne de la vie qui régn­era partout ; et plus le fac­teur, exis­ten­tiel se man­i­festera pra­tique­ment dans le dogme à côté du fac­teur théorique. Je n’ai pas besoin, je crois, d’affirmer que je n’entends par là nulle « mod­erni­sa­tion » », nul affaiblis­sement de son con­tenu ou de sa valeur. Au con­traire, son car­ac­tère d’absolu, d’inconditionné dans son expres­sion comme dans son exi­gence s’accentuera plus forte­ment. Mais dans cet absolu, la déf­i­ni­tion de l’existence et l’orien­tation du com­porte­ment seront, me sem­ble-t-il, particu­lièrement sensibles.

Ain­si, la foi sera capa­ble de rester ferme dans le péril. Dans les rap­ports avec Dieu, l’élément d’obéissance se man­i­festera forte­ment : une obéis­sance loyale qui sait qu’il y a de ces choses suprêmes qu’elle seule peut per­mettre de réalis­er. Non pas parce que l’homme serait « hétéronome., mais parce que Dieu est la sain­teté abso­lue. Ain­si donc, une atti­tude résol­u­ment non libérale, dirigée absol­u­ment vers l’absolu, mais, et c’est ici qu’elle se dis­tingue de toutes les vio­lences, dans la lib­erté. Ce car­ac­tère absolu n’est pas un aban­don au pou­voir physique et psy­chique du com­man­de­ment, mais, grâce à lui, l’homme accueille dans son acte la qual­ité de l’exigence divine. Or ceci sup­pose la majorité du juge­ment la lib­erté de l’option.

Et une con­fi­ance qui n’est pos­si­ble qu’ici. Non pas en un ordre rationnel de l’univers ou en un principe opti­miste de bien­veil­lance, mais en Dieu, réel et réal­isa­teur, bien plus : qui est à l’œuvre et qui agit. Si je ne me trompe, l’Ancien Tes­ta­ment prend une impor­tance par­ti­c­ulière : il mon­tre le Dieu vivant qui fait une per­cée à tra­vers l’envoûtement uni­versel du mythe comme à tra­vers les puis­sances séculières de la poli­tique païenne ; il mon­tre aus­si le croy­ant qui, accep­tant l’Alliance, se rap­porte à cet acte de Dieu. On en com­pren­dra l’importance. Plus gran­dis­sent les forces anonymes, d’autant plus résol­u­ment s’affirmera la “dom­i­na­tion du monde” par la foi dans la réal­i­sa­tion de la lib­erté, dans l’accord de la lib­erté don­née à l’homme avec la lib­erté créa­trice de Dieu. Et dans la con­fi­ance en ce que Dieu fait, non seule­ment réalise, mais fait. Il est étrange, ce pressen­ti­ment de sainte pos­si­bil­ité qui monte au sein de la con­trainte sans cesse gran­dis­sante du monde !

Ce rap­port de l’absolu et de la per­son­ne, de la néces­sité et de la lib­erté, ren­dra le croy­ant capa­ble de sub­sis­ter sans lieu ni refuge et de con­naître sa direc­tion. Elle le ren­dra capa­ble d’entrer avec Dieu en un rap­port direct, à tra­vers toutes les sit­u­a­tions de la con­trainte et du dan­ger et dans la soli­tude crois­sante du monde qui vient — la soli­tude, pré­cisé­ment, par­mi les mass­es et dans les organ­i­sa­tions — de demeur­er une per­son­ne vivante.

  Si nous com­prenons exacte­ment les textes escha­tologiques de la Sainte Écri­t­ure, la con­fi­ance et la force con­stitueront le car­ac­tère pro­pre de la fin des temps. Le milieu chré­tien, la cul­ture chré­ti­enne, l’assurance don­née par la tra­di­tion per­dront de leur force. Ce sera là un des élé­ments de ce dan­ger de scan­dale dont il est dit que “si c’était pos­si­ble, les élus eux-mêmes suc­comberaient” (Matth. xxiv 24)

La soli­tude de la foi sera ter­ri­ble. L’amour, la “Char­ité dis­paraî­tra du com­porte­ment général du monde (Matth XXIV, 12). Elle ne sera plus com­prise, elle ne pour­ra plus être. Elle devien­dra d’autant plus pré­cieuse lorsqu’elle ira d’un isolé à un antre isolé — force du cœur émanant directe­ment de l’amour de Dieu, telle qu’elle s’est — man­i­festée dans le Christ. Peut-être ferait-on une expéri­ence toute nou­velle de cette char­ité sou­veraine dans son carac­tère spon­tané, indépen­dante du Monde, mys­térieuse en son pourquoi suprême. Peut-être la char­ité acquer­ra-t-elle une pro­fondeur d’entente qui n’a pas encore existé. Quel­que chose de ce qui s’exprime dans ces paroles qui sont là clef du mes­sage de Jésus sur la Prov­i­dence : pour l’homme qui fait de la volon­té et du règne de Dieu son pre­mier souci, les choses se trans­for­ment. (Matth., VI, 33)

Ce car­ac­tère escha­tologique se révélera, me sem­ble-t-il, dans l’attitude religieuse qui s’amorce. On n’entend pas par là annon­cer une apoc­a­lypse à bon marché. Per­son­ne n’a le droit de dire que la fin approche, alors que le Christ lui-même a déclaré que le Père seul con­naît les Choses de la fin. (Matth. xxiv 36). Si donc il est ques­tion ici d’une approche de la fin, elle est enten­due non comme tem­porelle, mais comme essen­tielle, c’est-à-dire que notre exis­tence approche de l’option absolue et de ses con­séquences : des pos­si­bil­ités les plus hautes comme des périls les plus extrêmes.

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