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Aleteia a sélectionné les passages clefs du texte « Œconomicae et pecunariae questiones » publié jeudi par le Dicastère pour le service du développement humain intégral

Le doc­u­ment Œco­nom­i­cae et pecu­nar­i­ae ques­tiones – Ques­tions économiques et finan­cières, en latin vise à don­ner une “solide vision anthro­pologique” à l’activité économique, ont estimé le car­di­nal Peter Turk­son, préfet du Dicas­tère pour le ser­vice du développe­ment humain inté­gral, et Mgr Luis Ladaria Fer­rer, préfet de la Con­gré­ga­tion pour la doc­trine de la foi.

I/ Intro­duc­tion

« Aujourd’hui plus que jamais, les prob­lèmes économiques et financiers attirent notre atten­tion, en rai­son de l’influence crois­sante des marchés sur le bien-être matériel d’une bonne par­tie de l’humanité. Cela requiert, d’une part, une juste régu­la­tion de leurs dynamiques et, d’autre part, un fonde­ment éthique clair qui garan­tisse au bien-être obtenu une qual­ité humaine de rela­tions que les mécan­ismes économiques ne sont pas en mesure de pro­duire à eux seuls. De nos jours, un tel fonde­ment éthique est réclamé de toutes parts, en par­ti­c­uli­er par ceux qui tra­vail­lent dans le sys­tème économique et financier. C’est pré­cisé­ment là que devient évi­dente la néces­sité d’une alliance entre savoir tech­nique et sagesse humaine, sous peine de voir tout agir humain se pervertir. »

« Toute activ­ité humaine est appelée à pro­duire des fruits, en dis­posant généreuse­ment et équitable­ment des dons mis orig­i­naire­ment par Dieu à la dis­po­si­tion de tous ; elle doit aus­si dévelop­per, avec une ferme espérance, les semences de bien inscrites dans toute la créa­tion comme une promesse de fécon­dité. Cet appel con­stitue une invi­ta­tion per­ma­nente au déploiement de la lib­erté humaine, même si le péché est tou­jours prêt à min­er ce plan divin orig­i­naire. C’est pourquoi Dieu vient à la ren­con­tre de l’homme en Jésus-Christ. Il nous fait par­ticiper à l’événement admirable de sa Résur­rec­tion ; il « ne rachète pas seule­ment l’individu, mais aus­si les rela­tions sociales »8 ; il tra­vaille pour un nou­v­el ordre de rela­tions sociales fondées sur la Vérité et l’Amour, un lev­ain fécond de trans­for­ma­tion de l’histoire. Ain­si, il anticipe le Roy­aume des cieux qu’il est venu annon­cer et inau­gur­er en sa per­son­ne dans le cours du temps. »

 

« Si le bien-être économique mon­di­al s’est indu­bitable­ment accru au cours de la sec­onde moitié du XXe siè­cle, avec une mesure et une rapid­ité jamais perçues aupar­a­vant, il faut cepen­dant not­er que, par­al­lèle­ment, les iné­gal­ités se sont ampli­fiées au sein des dif­férents pays, comme aus­si entre les nations. Un grand nom­bre de per­son­nes con­tin­ue de vivre dans l’extrême pau­vreté. La récente crise finan­cière aurait pu être l’occasion pour dévelop­per une nou­velle économie plus atten­tive aux principes éthiques et pour une nou­velle régu­la­tion de l’activité finan­cière, en élim­i­nant les aspects pré­da­teurs et spécu­lat­ifs et en val­orisant le ser­vice à l’économie réelle. Bien qu’à divers niveaux, de nom­breux efforts posi­tifs aient été accom­plis, lesquels sont à saluer et à appréci­er, aucune réac­tion, cepen­dant, n’a per­mis de repenser ces critères obsolètes qui con­tin­u­ent de gou­vern­er le monde 10. Au con­traire, un égoïsme aveu­gle sem­ble par­fois pré­val­oir, lim­ité au court terme ; faisant fi du bien com­mun, il exclut de ses hori­zons la préoc­cu­pa­tion non seule­ment de créer mais aus­si de partager la richesse et d’éliminer les iné­gal­ités aujourd’hui si aiguës. »

II/ Con­sid­éra­tions élé­men­taires de base

… « notre époque a mon­tré l’essoufflement d’une vision indi­vid­u­al­iste de l’homme pris surtout comme un con­som­ma­teur, dont le prof­it con­sis­terait avant tout à opti­miser ses gains pécu­ni­aires. En réal­ité, la per­son­ne humaine est dotée sin­gulière­ment d’un car­ac­tère rela­tion­nel et d’une ratio­nal­ité con­tin­uelle­ment à la recherche d’un gain et d’un bien-être entiers et non réductibles à une logique de con­som­ma­tion ou aux aspects économiques de la vie ».

« il est souhaitable que par­ti­c­ulière­ment les insti­tu­tions uni­ver­si­taires et les busi­ness schools prévoient dans leur cur­sus d’études, de façon non mar­ginale ou acces­soire, mais bien fon­da­men­tale, des cours de for­ma­tion qui amè­nent à com­pren­dre l’économie et la finance à la lumière d’une vision com­plète de l’homme, non réduite à cer­taines de ses dimen­sions, et d’une éthique qui l’exprime. La doc­trine sociale de l’Église offre à ce sujet une grande aide. »

 

« Aucune activ­ité économique ne peut prospér­er de manière durable, si elle ne s’insère dans un cli­mat de saine lib­erté d’initiative. Aujourd’hui, il est égale­ment évi­dent que la lib­erté dont jouis­sent les acteurs économiques, si elle est com­prise de manière absolue et détournée de sa référence intrin­sèque à la vérité et au bien, tend à génér­er des cen­tres de supré­matie et à inclin­er vers des formes d’oligarchie qui, à terme, nuisent à l’efficacité même du sys­tème économique »

 

« il est égale­ment clair que le puis­sant moteur de l’économie que sont les marchés n’est pas en mesure de se réguler par lui-même28 : les marchés, en effet, ne peu­vent ni pro­duire les con­di­tions qui leur per­me­t­tent de se dévelop­per dans les règles (cohé­sion sociale, équité, con­fi­ance, sécu­rité, lois…), ni cor­riger leurs effets et leurs expres­sions nuis­i­bles à la société humaine (iné­gal­ités, dégra­da­tion de l’environnement, insécu­rité sociale, fraudes…). »

 

 

« Puisque dans la sit­u­a­tion actuelle, la com­plex­ité de nom­breux pro­duits financiers fait de cette iné­gal­ité un élé­ment inhérent au sys­tème lui-même, et place les acquéreurs en sit­u­a­tion d’infériorité par rap­port à ceux qui les com­mer­cialisent, de toutes parts, il est demandé le dépasse­ment du principe tra­di­tion­nel de caveat emp­tor. Ce principe, selon lequel il incombe avant tout à l’acheteur de véri­fi­er la qual­ité du bien acquis, pré­sup­pose, en réal­ité, une par­ité des con­trac­tants quant à leur capac­ité à défendre leurs intérêts. Or de fait, cette sit­u­a­tion n’existe pas, soit en rai­son de la rela­tion hiérar­chique évi­dente qui s’instaure dans cer­tains types de con­trats (par exem­ple, entre prê­teur et emprun­teur), soit à cause de la struc­tura­tion com­plexe de nom­breuses opéra­tions financières. »

 

« Ce qui est morale­ment inac­cept­able, ce n’est pas le sim­ple fait de faire un gain, mais celui d’utiliser à son avan­tage une iné­gal­ité pour génér­er des prof­its impor­tants au détri­ment des autres ; c’est de faire for­tune en abu­sant de sa posi­tion dom­i­nante au détri­ment d’autrui ou de s’enrichir en nuisant au bien-être col­lec­tif ou en le per­tur­bant […] La spécu­la­tion, en par­ti­c­uli­er dans la sphère économique et finan­cière, risque aujourd’hui de sup­planter toutes les autres final­ités majeures qui sous-ten­dent la lib­erté humaine. Cela porte atteinte à l’immense pat­ri­moine de valeurs qui fonde la société civile, lieu de coex­is­tence paci­fique, de ren­con­tre, de sol­i­dar­ité, de réciproc­ité revig­o­rante et de respon­s­abil­ité en vue du bien com­mun. Dans cette ligne, des ter­mes tels que l’« effi­cac­ité », la « con­cur­rence », le « lead­er­ship », le « mérite », ten­dent à occu­per tout l’espace de notre cul­ture civique ; ils assu­ment une sig­ni­fi­ca­tion qui finit par appau­vrir la qual­ité des échanges, réduite à un pur coef­fi­cient numérique. »

 

III/ Des pré­ci­sions dans le con­texte actuel

 

« On com­prend donc l’exigence, aujourd’hui tou­jours plus ressen­tie, d’introduire une homolo­ga­tion par les autorités publiques de tous les pro­duits issus de l’innovation finan­cière, afin de préserv­er la san­té du sys­tème et de prévenir les effets col­latéraux négat­ifs. Encour­ager la san­té et éviter la cor­rup­tion, même d’un point de vue économique, est un impératif moral incon­tourn­able pour tous les acteurs impliqués dans les marchés. Cette néces­sité mon­tre égale­ment l’urgence d’une coor­di­na­tion supra­na­tionale entre les dif­férentes com­posantes des sys­tèmes financiers locaux ».

 

« L’expérience des dernières décen­nies a démon­tré, d’une part, com­bi­en il est naïf de croire en une auto­suff­i­sance pré­sumée des marchés dans leur fonc­tion d’allocation des ressources, indépen­dam­ment de toute éthique ; d’autre part, elle révèle le besoin urgent d’une bonne régu­la­tion qui con­jugue en même temps la lib­erté et la pro­tec­tion de tous les acteurs, et surtout des plus vul­nérables, par un sys­tème d’interaction saine et cor­recte. […] Étant don­né la glob­al­i­sa­tion actuelle du sys­tème financier, une coor­di­na­tion sta­ble, claire et effi­cace s’impose entre les dif­férentes autorités nationales de régu­la­tion des marchés, avec la pos­si­bil­ité, et par­fois aus­si la néces­sité, de partager en temps oppor­tun les déci­sions con­traig­nantes, quand le bien com­mun est en dan­ger. Ces autorités de régu­la­tion doivent tou­jours rester indépen­dantes et liées aux exi­gences de l’équité et du bien com­mun. À cet égard, les dif­fi­cultés com­préhen­si­bles ne devraient pas décourager de la recherche et de la mise en oeu­vre de tels sys­tèmes de régle­men­ta­tion. Ceux-ci doivent être l’objet d’accords entre les dif­férents pays, mais à portée effec­tive supranationale. »

 

« Le monde de la finance off­shore se nour­rit surtout de cette inten­tion de spécu­la­tion qui, tout en offrant aus­si d’autres ser­vices licites, à tra­vers les canaux général­isés de con­tourne­ment fis­cal, et même d’évasion ou de recy­clage de l’argent, fruit de délit, aboutit ensuite à un appau­vrisse­ment du sys­tème nor­mal de pro­duc­tion et de dis­tri­b­u­tion des biens et des ser­vices. Il est dif­fi­cile de dis­tinguer si beau­coup de ces sit­u­a­tions don­nent lieu immé­di­ate­ment ou plus tard à des cas d’immoralité ; mais de telles réal­ités, là où elles sous­traient injuste­ment la lym­phe vitale à l’économie réelle, peu­vent dif­fi­cile­ment trou­ver une légitim­ité, tant du point de vue éthique que celui de l’efficience glob­ale du sys­tème économique lui-même. »

 

« Il importe avant tout de pra­ti­quer à tous les niveaux la trans­parence finan­cière (par exem­ple avec l’obligation de rap­port pub­lic pour les entre­pris­es multi­na­tionales, de leurs activ­ités respec­tives et des tax­es payées dans les pays où elles opèrent à tra­vers leurs fil­iales) ; en out­re, envis­ager des sanc­tions inci­sives à impos­er aux pays qui réitèrent les pra­tiques mal­hon­nêtes ci-dessus men­tion­nées (éva­sion et con­tourne­ment fis­cal, recy­clage de l’argent sale). »

 

« les États sont appelés d’une part, à remédi­er à cette sit­u­a­tion au moyen d’adéquates ges­tions du sys­tème pub­lic par le biais de réformes struc­turelles sages, et par la répar­ti­tion judi­cieuse des dépens­es et des investisse­ments ciblés ; d’autre part, au plan inter­na­tion­al, en met­tant chaque pays face à ses respon­s­abil­ités incon­tourn­ables, il faut égale­ment per­me­t­tre et encour­ager de manière raisonnable les voies judi­cieuses de sor­tie de la spi­rale de la dette, en ne faisant pas porter aux États – et donc à leurs conci­toyens, en clair à des mil­lions de familles – le fardeau de ce qui de fait se révèle insoutenable. »

 

IV/ Con­clu­sion

 

« Face à l’immensité et à l’omniprésence des sys­tèmes économiques et financiers d’aujourd’hui, nous pour­rions être ten­tés de nous résign­er au cynisme et de penser que nos pau­vres forces n’y peu­vent faire que bien peu. En fait, cha­cun de nous peut faire beau­coup, surtout s’il ne reste pas seul. […] Même s’il peut sem­bler frag­ile et insignifi­ant, chaque geste de notre lib­erté s’appuie, s’il est vrai­ment ori­en­té vers le bien authen­tique, sur Celui qui est le vrai Maître de l’histoire. Il s’inscrit dans une pos­i­tiv­ité qui dépasse nos pau­vres forces, en se joignant de façon indis­so­cia­ble à tous les actes de bonne volon­té dans un réseau qui relie le ciel et la terre, en véri­ta­ble instru­ment d’humanisation de l’homme et du monde. »